Le 12 mars, un séminaire « scientifique » s’est tenu à la Faculté de géologie de l’Université d’État de Bakou avec pour principal intervenant Robert Mobili, un spécialiste de géologie, fondateur et animateur de l’officine de propagande appelée « Communauté chrétienne oudie d’Azerbaïdjan » (1). La conférence de R. Mobili était intitulée « l’étude analytique des matériaux de construction et des liants de base dans la contrefaçon des monuments anciens albaniens dans les territoires du Karabakh ».
Devant un auditoire très restreint composé d’une vingtaine de personnes, R. Mobili a présenté ses théories pseudo-scientifiques afin de prouver que « Le patrimoine religieux et culturel du Karabakh [avait] été détruit, arménisé et falsifié pendant des siècles par les nationalistes et les vandales arméniens ». Dans un discours pseudo « scientiste » s’appuyant sur l’étude des matériaux de construction et les différents type de liants – mortiers et ciments – ce dernier a donc tenté d’étayer sa théorie de la falsification des monuments d’Artsakh par les Arméniens.
La présentation d’extraits de ces théories aux relents « conspirationnistes » valant mieux que toute tentative pour les synthétiser (2), je propose aux lecteurs de « Nor Haratch » quelques lignes de ce brillant exposé. Chacun pourra constater qu’en la matière, une copie, même la plus fidèle, ne pourrait remplacer l’original.
C’est le site « Udi.az », organe de la « Communauté chrétienne oudie d’Azerbaïdjan » , qui présente dans ses grands traits cette conférence.
Voici ce qu’on peut y lire : « Dans le sujet présenté, il a été rapporté que les radiographies primaires ainsi que celles des matériaux de maçonnerie d’un certain nombre d’anciens monuments albanais dans le territoire libéré du Karabakh (Le complexe du monastère de Khudaveng (3) et ses murs, le sanctuaire cruciforme d’Agoghlan (4) dans le district de Latchine, les églises construites en forme de tétragone dans les villages de Tug (5) et Hunerli (6) du district de Khojavend et d’autres), d’après les résultats d’études spectrales, la composition minéralogique des matériaux de maçonnerie est essentiellement constituée de calcite, de quartz, de feldspaths et d’argiles diverses. L’étude des monuments albanais anciens par des méthodes minéralogiques, pétrographiques et physico-chimiques innovantes est importante pour l’étude du patrimoine culturel, la restauration et la protection des monuments, ainsi que pour les monuments modifiés par le vandalisme arménien grâce à un certain nombre de techniques … il a été en particulier établi que dans les terres azerbaïdjanaises libérées, du mortier contenant de la chaux était utilisé dans les travaux de maçonnerie des églises, des complexes monastiques et des chapelles albanaises, qui se transformaient en carbonate de calcium suite à un processus de durcissement à long terme. Des solutions similaires contenant de la chaux ont été utilisées par les artisans de l’époque dans les riches couches du patrimoine chrétien de l’Église apostolique d’Albanie, ainsi que dans d’autres monuments antiques du Moyen Âge en Azerbaïdjan. La composition minérale de ces mortiers est principalement constituée de feldspaths comme agrégats, et une petite quantité de minéraux argileux et de calcite contenant du quartz a été utilisée. »
R. Mobili affirme en conséquence que « L’importance de recourir à ces méthodes pour l’étude des monuments religieux est partagée par les historiens, les archéologues, les théologiens et les restaurateurs. La détermination et l’analyse de l’âge des mortiers de maçonnerie des monuments albanais joueront un rôle important dans l’étude de l’histoire de ces bâtiments. »
La conclusion ne tarde pas : « Cela nous permettra de ne pas tirer de conclusions hâtives et de limiter considérablement les erreurs. Il suffit de regarder le patrimoine historique du Karabakh pour comprendre l’étendue des possibilités de ces méthodes pour déterminer l’âge des monuments albanais et les étudier. Il est important d’utiliser largement ces méthodes pour restaurer la vérité historique. » En somme, un bon et beau discours « scientiste » pour tout simplement légitimiser un captage d’héritage et une réécriture de l’histoire.
L’événement n’est en réalité pas d’une grande originalité et ce n’est pas la première fois que la partie azerbaïdjanaise a recours à de tels arguments pseudos scientifiques .
le 14 novembre 2020, quelques jours après la signature du document tripartite officialisant le cessez-le-feu qui stoppait l’agression azerbaïdjanaise contre la République d’Artsakh, un article intitulé « Occupied Karabakh turned by Armenia into fake antiques factory » (7) publié sur le site russe « Vestnik Kavkaza » (8) avançait des thèses comparables aussi grotesques et dénuées de tout fondement scientifique.
L’auteur – anonyme – de l’article écrivait : « Les recherches scientifiques archéologiques, ethnographiques, épigraphiques … menées par les scientifiques sur le territoire du Karabakh ont prouvé que les ancêtres du peuple azerbaïdjanais vivaient sur ces terres à partir de la période de Guruchay (9) et qu’ils y ont créé un riche héritage et une culture propre. Cependant, durant 30 ans, des manufactures et des ateliers de production de fausses antiquités arméniennes ont fonctionné dans tous les territoires occupés du Karabakh. L’archéologue Telman Ibrahimov (10) affirme que des “ monuments arméniens antiques ” artificiellement vieillis sont présentés comme des preuves de la présence arménienne au Karabakh depuis les temps anciens et visent également à attirer les touristes ». Il affirme également que « Le processus de création de contrefaçons s’était développé au Karabakh pendant toute la période soviétique, mais d’une manière plus prudente. Pendant les années d’occupation (11), le processus avait connu une accélération sans précédent. Un simple coup d’œil suffisait pour comprendre qu’il s’agissait de faux. Mais les touristes étaient déterminés à ne voir que l’antiquité promise. » Pour confirmer ces affirmations, l’auteur de l’article ajoute : « Ces photographies [publiées dans l’article] présentent les techniques de vieillissement des faux monuments et les résultats de ce processus. En tant qu’expert en fausses antiquités, Ibrahimov conseille ironiquement aux contrefacteurs d’adopter une méthode de patinage non chimique (au lieu de celle qui est acide et produit une patine verte, grise, brune et noire mais qui est détectable), d’essayer des oxydants naturels agissant rapidement sur la pierre. Le faux ne serait alors plus aussi évident au premier coup d’œil. »
Les trois lignes de conclusion d’Ibrahimov sont extrêmement alarmantes et révèlent sans aucune ambiguïté les intentions de son pays concernant ce patrimoine : « Les vrais propriétaires de ces terres reviennent. Ce ne sont pas des touristes crédules et démunis. Ils connaissent le Karabakh et peuvent distinguer le vrai du faux. Tous les faux monuments anciens du Karabakh seront détruits. »
Telman Ibrahimov
Plus que par la qualité de ses travaux, le niveau scientifique et le professionnalisme d’Ibrahimov qui est un spécialiste d’à peu près tout, mais surtout en arménophobie, s’expriment de manière éclatante sur son compte « Academia.edu ».
Le seul exemple d’un « post » du « Docteur Telman Ibrahimov » suffit à le révéler sous son véritable jour : « A tous les Arméniens qui paissent (12) en permanence sur mes pages Facebook et Academia.edu. [je dis] : L’Artsakh factice que vous avez inventé est mort (մեռած) (13). Je vous félicite de ne plus avoir à inventer de nouvelles histoires sur les « anciens tapis d’Artsakh » et de fausses inscriptions arméniennes que vous brodiez sur ces objets que vous voliez. Ces tapis du Karabakh ne cesseront de proclamer: « Je suis un faux !!! » P.s. le véritable tisserand de ce tapis n’accepterait jamais de défigurer son tapis par une telle inscription. Seul un fanatique nationaliste d’aujourd’hui qui ne connaît pas, n’apprécie pas ou n’aime pas le tapis, pourrait faire cela. Dr Telman Ibrahimov » (14).
Si des réseaux sociaux comme « Meta » (ex-Facebook) sont capables, et habilités, à censurer tout propos répréhensible et tombant sous le coup de la loi, il est difficile de comprendre pourquoi « Academia.edu » permet à un Telman Ibrahimov de diffuser ses thèses révisionnistes et racistes.
Un défi supplémentaire pour la communauté scientifique et universitaire d’Arménie et de la Diaspora. Mais nous ne sommes plus à cela près …
Sahak SUKIASYAN
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(1) Voir au sujet de R. Mobili l’article « Le mythe de la tolérance de l’Azerbaïdjan écorné par l’administration américaine », Nor Haratch, N° du 28 février 2024.
(2) Voir le compte face-book de cette organisation : https://www.facebook.com/www.udi.az
(3) Dadivank.
(4) Tzizernavank. Cette église n’est d’ailleurs nullement cruciforme, mais basilicale.
(5) Village de Togh.
(6) Village de Tzakuri. Là même où en mars 2021 Aliev avait ordonné de corriger toutes les inscriptions « factices » des Arméniens.
(7) « Le Karabakh occupé transformé par l’Arménie en manufacture de fausses antiquités ».
(8) « Le Messager du Caucase » https://en.vestikavkaza.ru/articles/Occupied-Karabakh-turned-by-Armenia-into-fake-antiques-factory.html
(9) Des paléontologues azerbaïdjanais soutiennent que des objets remontant à une période allant de – 3,2 millions d’années à – 100 000 ans ont été découverts dans la grotte d’Azykh, dans la vallée de Guruchay, près de la région de Fuzuli.
(10) Né en 1957 à Bakou, Professeur d’histoire de l’art à la Faculté d’Art de l’Université d’Etat de Bakou de 1987 à 2000, collaborateur scientifique auprès de l’Académie des sciences d’Azerbaïdjan depuis 1988, Professeur-assistant à l’Académie d’Etat des Arts depuis 2000.
(11) De l’indépendance de la République d’Artsakh.
(12) Paraphrasant sans doute Aliev qui comparait les Arméniens à des « chien »s, Ibrahimov, utilise le verbe « paître» pour caractériser les interventions des Arméniens sur ses comptes de réseaux sociaux, en les assimilant ainsi aux animaux d’un cheptel, ovin ou bovin, au choix …
(13) En Arménien « dans le texte ».
(14) https://www.academia.edu/107383505/TO_ALL_ARMENIAN
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