Depuis 116 ans, la « Semaine de prière pour l’unité des Chrétiens » qui rassemble les chrétiens de toutes confessions au mois de janvier constitue une manifestation majeure de la vie œcuménique. Les responsables chrétiens d’Azerbaïdjan se sont donc une nouvelle fois réunis à Bakou, en l’église de l’Immaculée Conception, la cathédrale de la communauté catholique du pays dirigée par Monseigneur Vladimir Fekete [1].
Monseigneur Vladimir Fekete
Un compte-rendu visiblement rédigé en commun et généreusement diffusé par les sites des Eglises catholique et russe orthodoxe, du groupuscule de la pseudo « Église apostolique d’Albanie » relate cette célébration de Bakou. On y apprend que « cette année, le thème principal de la semaine pour l’unité des chrétiens était la parabole évangélique du Bon Samaritain qui est un exemple de l’amour inconditionnel de Dieu pour toute personne, quelle que soit sa race, sa nationalité ou sa religion ». Un thème d’actualité et d’une grande pertinence dans le contexte actuel pour les communautés chrétiennes de ce pays.
On y apprend également que la manifestation s’est déroulée en présence de la Secrétaire de presse du diocèse catholique de Bakou et d’Azerbaïdjan, de l’archiprêtre Konstantin Pominov [2], du Président de la « Communauté chrétienne albanaise-oudie » Robert Mobili, du Pasteur Gerhard Lemke, de la « Communauté évangélique luthérienne », de Rasim Khalilov [3], Président de la société biblique d’Azerbaïdjan, et de fidèles des Églises représentés. Concernant cette assistance, si l’on en juge par les photographies publiées à cette occasion, on peut s’interroger sur l’importance de cette rencontre pour les Chrétiens locaux puisque cette manifestation aura réuni moins d’une trentaine de personnes. Quasi exclusivement des représentants institutionnels des communautés présentes à Bakou.
Dans le cadre de la célébration, Mgr Vladimir Fekete s’est adressé aux participants à l’événement par ces mots « L’amour est l’ADN de la foi chrétienne. Les chrétiens sont appelés à agir comme le Christ, à aimer comme le Bon Samaritain, à faire preuve de miséricorde et de compassion envers ceux qui sont dans le besoin, quelle que soit leur origine religieuse, ethnique ou sociale. Ce n’est pas une identité commune qui doit nous motiver à venir en aide à autrui, mais l’amour du “ prochain ”. Cependant, la vision de l’amour du prochain que Jésus nous propose est sérieusement mise à l’épreuve dans le monde. Les guerres dans de nombreuses régions, les déséquilibres dans les relations internationales et les inégalités entravent notre capacité à aimer comme le Christ. C’est en apprenant à s’aimer, malgré nos différences, que les chrétiens peuvent devenir voisins, comme le Samaritain de l’Évangile ». Les responsables des autres communautés chrétiennes du pays ont naturellement emboité le pas à ce prélat de l’Église catholique en prononçant des interventions comparables.
La Secrétaire de presse du diocèse catholique de Bakou et d’Azerbaïdjan
Sans attendre cette célébration, dans une interview qu’il avait accordé dès le 11 janvier au site azerbaïdjanais « Trend » le pasteur Khalilov, avait déclaré « Aujourd’hui, certaines entités cherchent à perturber l’union séculaire des religions et des confessions en Azerbaïdjan. Elles veulent imposer leurs curieuses opinions en utilisant la Religion à des fins politiques. Mais nous devons tous être très sages et ne pas céder aux provocations, et continuer à adorer le Tout-Puissant et à promouvoir la paix, l’amour et la tolérance … Depuis des générations, les Azerbaïdjanais professent diverses religions, notamment le christianisme, l’islam et le judaïsme … L’Azerbaïdjan est un pays religieusement tolérant. Il y a des Azerbaïdjanais chrétiens … le pays a donc une perspective différente et les liens se développent sur la base de principes comme l’amitié, l’amour et l’unité … Nous vivons dans un beau pays où nous sommes aimés et appréciés. Il est toujours important de mettre l’accent sur le respect mutuel dans les relations. Je voudrais souligner que pendant la guerre du Karabakh, les opposants de l’Azerbaïdjan ont tenté de présenter ce conflit comme un conflit interreligieux opposant les chrétiens et les musulmans. C’est une tromperie que nous, chrétiens d’Azerbaïdjan, dénonçons ».
Pour ne pas être en reste, quelques jours plus tard, l’évêque Fekete déclarait dans les colonnes du « Centre indépendant Seçki 2024 » : « Aujourd’hui, nous constatons tous que le monde entier entre dans une nouvelle ère et que les réalités géopolitiques et sociales auxquelles nous étions habitués évoluent à grands pas. Grâce à Dieu, l’Azerbaïdjan entre également dans ces nouvelles réalités mondiales en tant qu’État sûr de lui et moderne, ouvert à une coopération multisectorielle basée sur ses intérêts nationaux. Je pense que les prochaines élections présidentielles seront l’expression des sentiments du peuple azerbaïdjanais à l’égard du chemin parcouru et qu’elles permettront un certain résultat. Ces élections visent également à confirmer la volonté du peuple à renforcer davantage son État fondé sur le respect de l’identité nationale et de la culture politique, en répondant opportunément à tous les défis modernes … Les prochaines élections présidentielles anticipées sont considérées non seulement comme un événement politique dans la vie du pays, mais aussi comme un événement représentant un symbole singulier. Comme mentionné, l’Azerbaïdjan a complètement restauré son intégrité territoriale, ce qui signifie que les années de guerre intense et de combats sont derrière nous, et il y a maintenant une chance historique d’ouvrir une nouvelle page dans l’histoire de toute la région – une page de paix, de construction , la coopération et le respect mutuel ».
Cette année encore, alors que le thème aurait pu largement les inspirer, les Chrétiens d’Azerbaïdjan n’ont eu ni une parole, ni une prière pour leurs frères arméniens d’Artsakh chassés de leurs terres ancestrales sans un mot de condamnation du Pape et des Patriarches de Moscou et de Constantinople.
Il y a 35 ans, l’Azerbaïdjan comptait plus de 400 000 Arméniens, dont la moitié à Bakou. Nul doute qu’ils auraient participé avec enthousiasme à ce rassemblement. Mais en 2024, dans les communautés chrétiennes de cet Azerbaïdjan présenté par ses dirigeant comme une « Terre de tolérance », qui se souvient encore des Arméniens ?
Sahak SUKIASYAN
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[1] D’origine slovaque, Vladimir Fekete a été ordonné évêque et nommé premier Préfet apostolique catholique en Azerbaïdjan par Mgr. Gallagher, ministre des affaires étrangères du Vatican, un britannique très proche de l’Azerbaïdjan. Il assume ces fonctions depuis 2011.
[2] Ce prêtre marié qui assure le rôle de porte-parole de l’Église orthodoxe russe en Azerbaïdjan s’est illustré à maintes reprises par des discours très anti-arméniens et par une grande servilité à l’égard d’Aliev et de son régime. Lors d’une visite à Chouchi des responsables religieux d’Azerbaïdjan organisée par le pouvoir, il avait en particulier déclaré « je souhaite sincèrement une chose : que cette terre soit remplie de voix et de rires d’enfants, de joie et d’amour. Que la vie soit belle ici, que les gens oublient leurs chagrins et que Choucha brille comme la perle la plus brillante et la plus belle ville de notre pays ». Il a également participé à nombre d’émissions et de reportages dans lesquels il accusait les Arméniens d’avoir détruit des églises russes au Karabakh.
[3] Pasteur de l’Église « La Parole de Vie » à Bakou jusqu’en 2016.
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