1700 ans du concile de Nicée : l’héritage du concile et l’Église d’Arménie

Par Gohar Haroutiounian

Chercheure indépendante en anthropologie religieuse 

Nous venons tout juste de célébrer, le 20 mai, le 1700e anniversaire du premier concile œcuménique des églises chrétiennes, qui s’est tenu à Nicée du 20 mai au 25 juillet en l’an 325 de notre ère, sous la présidence de l’empereur Constantin Ier. Ayant réuni des évêques et représentants des églises locales de l’Empire romain, ce concile avait pour objectif de résoudre les problèmes qui divisaient alors les Églises : problèmes disciplinaires, problèmes théologiques mis en évidence par la controverse entre Arius et son évêque Alexandre d’Alexandrie, mais aussi problèmes liturgiques, notamment la question de la célébration de Pâques. Une liste nominative des participants nous est parvenue et le nombre d’évêques y ayant participé varie selon les sources. Cependant, c’est le nombre 318, évoqué par Athanase d’Alexandrie, qui a connu un certain succès dans l’historiographie religieuse, et la mémoire de ces 318 pères du concile de Nicée est célébrée comme fête liturgique dans de nombreuses églises chrétiennes. L’Église d’Arménie la célèbre le samedi précédant le 4e dimanche après la fête de l’Assomption de la Mère de Dieu. 

Le Concile de Nicée et le principe de la synodalité

La réunion de ce concile met en application le principe de la synodalité comme participation de tous les représentants des églises locales, pour résoudre les questions de la vie de l’Église. Dans la tradition arménienne, ce principe de synodalité reste l’élément clé de son fonctionnement, car l’autorité suprême et l’organe législatif suprême de l’Église d’Arménie est l’Assemblée nationale de l’Église, qui constitue la plus ancienne structure nationale et ecclésiastique. Réunissant les représentants religieux et laïques, elle est présidée par le Catholicos de tous les Arméniens, qui convoque la session de l’Assemblée en moyenne tous les 7 ans. Elle élit les membres du Conseil spirituel suprême (CSS), organe consultatif administratif de l’Église d’Arménie, qui se réunit 4 fois par an et dont les membres sont nommés par le Catholicos sur décision de l’Assemblée. Il était auparavant composé de 6 ecclésiastiques de haut rang, puis l’Assemblée nationale de l’Église y a ajouté 3 laïcs. À ce jour, leur nombre s’élève à 23, dont 17 ecclésiastiques et 6 personnes laïques.

Le symbole de la foi du concile de Nicée et la question de l’essence divine du Christ 

Du concile de Nicée nous sont parvenus cinq documents, dont deux strictement théologiques : la Profession de foi dite Symbole de Nicée et les Anathèmes condamnant l’enseignement d’Arius, que seule l’Église d’Arménie utilise encore aujourd’hui. La pensée principale d’Arius est résumée dans les expressions suivantes qui lui sont attribuées et qui sont citées dans l’anathème du concile : « il a eu un temps où le Logos n’existait pas », « le Fils de Dieu est muable et sujet au changement ». Le concile de Nicée rejette ces idées, qui suppose la création du Fils et sa subordination au Père, en affirmant que le Fils, étant « coessentiel au Père (ὁμοούσιον τῷ Πατρί) », est « engendré, et non créé », et que c’est la même personne du Fils unique du Père qui « pour nous, hommes, et pour notre salut est descendu, s’est incarné et s’est fait homme, a souffert, est ressuscité le troisième jour, est monté aux cieux, et viendra de nouveau juger les vivants et les morts ». 

À l’origine du symbole de Nicée se trouve la confession de foi baptismale de l’Église de Césarée, qui sera complétée au concile de Constantinople de 381 par les paragraphes concernant l’Esprit Saint et l’Église, pour devenir le « symbole de Nicée-Constantinople », ce dernier nous étant parvenu par les actes du concile de Chalcédoine (451).

Le calcul nicéen de la date de la célébration de la fête de Pâques 

Le concile de Nicée s’est également prononcé sur les questions des pratiques liturgiques, en tentant notamment d’uniformiser la date de la célébration de la fête de Pâques. Les divergences à ce sujet sont constatées dès le IIe siècle, lorsque certaines communautés chrétiennes d’Asie mineure célébraient cette fête le 14 de nisan, selon l’usage juif qui remonte à St Jean l’Évangéliste. Les autres communautés, notamment les alexandrins, la célébraient obligatoirement un dimanche, le jour du Seigneur, usage romain qui remonte à St Pierre et à St Paul. Les querelles à ce sujet ont abouti à l’excommunion des communautés d’Asie mineure par le pape Victor de Rome. C’est alors que se manifeste la protestation de Saint Polycarpe de Smyrne et Saint Irénée de Lyon, exhortant à ne pas rejeter un groupe de chrétiens qui conservent une coutume ancienne. 

C’est dans ce contexte que la question de la date de Pâques se pose au Concile de Nicée, lequel, suivant l’usage romain et alexandrin, décida que la fête de Pâques devait être célébrée le premier dimanche qui suit la première pleine lune de printemps, calculée comme commençant le 21 mars (date de l’équinoxe de printemps). Selon cette définition, Pâques tombe chaque année entre le 22 mars et le 25 avril. Cependant, cela pose des problèmes importants de calcul, car elle n’est basée ni sur les données astronomiques, ni sur les calendriers lunaire et solaire réels : ainsi, la date fixe de l’équinoxe du printemps le 21 mars ne dépend pas de l’équinoxe réel de printemps, lequel peut tomber, selon les années, le 19, le 20 ou le 21 mars. De même, la première lune de printemps est une lune théorique calculée à l’époque du concile d’après le cycle de Méton, qui correspond assez bien aux phases de la lune réelle, mais par rapport aux données astronomiques ce calcul dérivait d’un jour tous les 219 ans environ.

L’application du calcul nicéen de la date de Pâques dans les églises de nos jours 

Il existe aujourd’hui plusieurs méthodes de calcul de la date de Pâques, basées sur la définition du concile de Nicée et appliquées dans les églises chrétiennes : julienne, grégorienne, julienne révisée, arménienne, égyptienne.

Il n’y a pas de différence majeure entre les calendriers grégorien et julien, qui sont similaires dans leur fonctionnement : ce sont des calendriers solaires qui se concentrent sur le mouvement des 365 jours de la Terre autour du Soleil, et qui incluent des années bissextiles tous les 4 ans. La différence réside dans le système de calcul des années bissextiles et dans la durée de la longueur d’une année. Le calendrier grégorien est plus précis et donc plus proche de l’année solaire : à contrario du calendrier julien, décalé de 11 minutes chaque année solaire, celui-ci n’est décalé que de 26 secondes. Pour le mois lunaire, le mode de calcul grégorien est une adaptation, assez complexe, de la méthode julienne de Denys le Petit, établie par l’astronome Christophore Clavius.

Encore plus précis que le calendrier grégorien, il existe également le calendrier julien révisé ou le « nouveau calendrier » qui se fonde, pour le mode de calcul de l’année solaire, sur le calendrier solaire julien, avec cependant la suppression de 13 jours d’écart, et sur un nouveau mode de calcul des années bissextiles. Pour ce qui est de l’accord avec la lune réelle, il se fonde sur l’observation de la Lune à Jérusalem. Dès lors, en s’appuyant sur le calendrier julien révisé, le synode de Constantinople de 1923 propose l’adoption d’une règle astronomique pour la détermination de la date de Pâques, consistant en une traduction astronomique de la définition du concile de Nicée :  plutôt que de considérer la date fixe du 21 mars, on prend pour date de référence le jour de l’équinoxe réel de printemps, déterminé astronomiquement. De même, plutôt que de se fonder sur une lune théorique de Méton, l’on observe la Lune depuis un lieu précis : le méridien de Jérusalem. 

Le calcul de la date de Pâques dans l’Église d’Arménie

Jusqu’au début du XXe siècle, le calcul arménien de la Pâques reste basé sur le calendrier solaire arménien mobile (d’une année invariable de 365 jours sans année bissextile, avec toutefois 4 ou 5 jours ajoutés en fin d’année, donc avec un décalage d’un jour tous les 4 ans par rapport au cycle des saisons), ayant le même système de fonctionnement que les calendriers de l’Égypte et de la Rome antiques. Le décompte du temps dans ce calendrier se fait non pas à partir de la naissance du Christ (devenue la mesure de notre ère vers le VIIe siècle), mais à partir de l’année 552 et cela en raison des tables pascales. En effet, après le concile de Nicée, l’Église d’Arménie ne passa pas au calendrier solaire julien et continua de suivre le calendrier solaire arménien mobile employant, pour le calcul de la date de Pâques, des tables attribuées à Andreas d’Athènes (ou de Byzance), couvrant une période de 200 ans, de 352 à 553. À l’issue de cette période, l’Église d’Arménie adopta en 553, lors du concile de Dvin, les tables pascales de 532 ans d’Aniane d’Alexandrie, et déclara ce nouveau départ comme le début de l’ère arménienne. Actuellement, nous sommes en l’an 1474 de l’ère arménienne. Cependant, au début du XXe siècle, en 1923, l’Église d’Arménie, exceptés les diocèses de Jérusalem, de Géorgie et d’Astrakhan, adopte le calendrier grégorien. Si les deux derniers finissent par l’adopter plus tardivement, le Patriarcat arménien de Jérusalem suit toujours l’ancien calendrier. 

Toutefois, la mobilité de l’année liturgique, due, entre autres, à la mobilité du calendrier solaire arménien, reste de nos jours encore au cœur du calendrier liturgique de l’Église d’Arménie : la période pascale, le Grand Carême, l’Ascension, la Pentecôte, mais aussi la fête de la Transfiguration, les fêtes des saints dites « apaïc’ », sont mobiles et gouvernées par la fête de Pâques. Il existe également dans le calendrier liturgique arménien deux fêtes semi-mobiles, pourtant fixes dans d’autres églises chrétiennes : l’Assomption de la Mère de Dieu (15 août) et l’Exaltation de la sainte Croix (14 septembre). L’Église d’Arménie les célèbre les dimanches les plus proches du 15 août et du 14 septembre – petite référence à la logique pascale nicéenne selon laquelle une fête chrétienne au reflet pascal doit être célébrée un dimanche, le jour du Seigneur et de sa résurrection.

Gohar Haroutiounian

ID : https://orcid.org/0009-0008-0277-7370