AZERBAÏDJAN – VATICAN – Comment le caviar azéri souille les autels romains

Si la diplomatie vaticane est réputée pour son extrême discrétion, il n’en n’est pas de même concernant celle de l’Azerbaïdjan qui fait feu de tout bois pour étaler ses « réussites », qu’elles soient d’importances ou plus modestes. Pour l’Azerbaïdjan, il n’est en la matière de petits gains.

La religion au service d’Aliev

Depuis l’accession au pouvoir d’Ilham Aliev, une véritable instrumentalisation du religieux et des religieux a été savamment élaborée. Dans cet État qui se présente régulièrement comme « laïc », mais dont le drapeau porte le croissant et la lune, où la religion et les religieux sont étroitement contrôlés, Aliev se présente, comme diraient nos frères catholiques et protestants, comme un authentique « artisan de paix ». Sous sa direction et grâce à son action, toutes les ethnies et religions du pays vivraient un véritable nouvel « Age d’or », dans un Azerbaïdjan présenté au monde entier comme « LA terre de tolérance ». La réalité est toute autre puisque depuis 1991, l’année de sa sortie de l’URSS, la tendance à l’homogénéisation ethnique et religieuse n’a cessé de s’accélérer au point que selon le recensement de 2009, les non-azéris ne représentent plus que 8,4 % de la population du pays contre 37, 9 % en 1926. Les Arméniens dont le nombre approchait le demi-million ont entièrement disparus. Les communautés juive et russe présentés comme des populations très « protégées » par le pouvoir, ont vu leur nombre s’amenuiser de manière drastique.

Bakou-Vatican, une collaboration « contre-nature »

A Bakou, tous les responsables religieux locaux, indépendamment de leur appartenance, sont aujourd’hui de véritables « otages-marionnettes » au service de l’État azerbaidjanais Plus directement et plus concrètement, au service de son président.

C’est dans le cadre de cette politique d’instrumentalisation des religions et des religieux que s’inscrivent un certain nombre de manifestations organisées et promues par la diplomatie azerbaïdjanaise hors de son territoire. Cette situation est d’autant plus incompréhensible que les institutions religieuses qui participent à cette instrumentalisation peuvent être les centres décisionnaires de grandes autorités morales comme la Papauté, les Patriarcats de Moscou ou de Constantinople, qui se trouvent hors de portée du président azerbaïdjanais.

Récemment, nous avons pu le constater à l’occasion de la manifestation intitulée « Le christianisme en Azerbaïdjan : histoire et modernité » organisée par l’ambassade d’Azerbaïdjan auprès du Vatican à l’Université pontificale grégorienne de Rome.

Ce colloque qui se voulait scientifique, mais en réalité dépouillé de toute légitimité scientifique, avait été salué par les messages de deux dignitaires de très haut rang du Vatican : le Préfet du dicastère aux Églises orientale, qui est de surcroit un arméniste de renom, et celui au Dialogue interreligieux. Ce dernier est un religieux appartenant à l’Église syro-malabare, certes rattachée à Rome, mais ayant une lointaine parenté avec l’Église d’Arménie.

L’Église catholique romaine, et plus particulièrement l’Université grégorienne, n’étaient donc pas dans la position d’un simple « prestataire de services » assurant des locations de salles comme certains ont tenté de présenter et de justifier ces  faits.

Une tradition désormais bien établie

Mais les manipulations sulfureuses de l’Azerbaïdjan auprès du Saint Siège depuis l’ouverture de son ambassade en 2022, soit deux ans après la Guerre des 44 jours, et l’année même du blocus qui a affamé les 120 000 Artsakhiotes avant la réalisation du grand nettoyage ethnique de septembre 2023, n’ont pas débuté avec cette très déplorable affaire.

Depuis de nombreuses années, ces liens « contre-nature » sont largement connus et abondamment utilisés par les media de la propagande azerbaidjanaise jusqu’en France[1]. Mehriban Alieva, l’épouse d’Ilham Aliev et Vice-présidente de la République, avait été décorée par le cardinal Parolin en février 2020 de la Grand-Croix de l’Ordre de Pie IX, pour « sa contribution au développement de la culture, et des liens réciproques avec les institutions du Saint-Siège»[2].

Le 22 février 2025, la basilique saint Agnès-Hors-les-Murs, l’un des prestigieux sanctuaires de la ville éternelle, a été le théâtre – le terme est volontairement choisi et adapté à la situation – d’une farce diplomatique se doublant d’une profanation.

A l’initiative de l’ambassade de l’Azerbaïdjan, s’y est tenu une soirée dédiée au 33e anniversaire du « Génocide de Khodjaly » attribué par les Azéris aux forces arméniennes[3].

Ilgar Moukhtarov, l’ambassadeur auprès du Saint-Siège, a eu tout loisir avant le concert commémoratif de présenter la version azerbaïdjanaise des faits. Azertac, l’un des media officiels azéris rapporte dans son compte-rendu les propos du diplomates : «  Khodjaly a été entièrement détruite et incendiée par de nombreux engins militaires, ses habitants tués de façon particulièrement cruelle. Plusieurs ont été décapités, scalpés, brûlés vifs, les yeux leur ont été arrachés. Selon les chiffres officiels, ce génocide a coûté la vie à 613 personnes, dont 63 enfants, 106 femmes et 70 personnes âgées. Parmi eux, 8 familles ont été entièrement massacrées, 56 personnes ont été tuées de façon particulièrement cruelle ; 27 familles n’ont qu’un seul membre vivant, 25 enfants ont perdu leurs deux parents, 130 enfants ont perdu un de leurs parents, 230 familles ont perdu leur chef de famille, 487 personnes en ont gardé des infirmités de différents degrés (dont 76 n’ayant pas atteint l’âge de la puberté), 1275 civils ont été faits prisonniers. On est également sans nouvelles de 150 personnes »[4].

Certes, cet événement de pure propagande a été organisé à l’initiative de l’ambassadeur de Bakou, mais aussi avec la complicité des autorités religieuses, peut-être même avec la bénédiction du cardinal Camillo Ruini qui est depuis 1991 Vicaire général et Cardinal-vicaire. Ce dernier  administre le diocèse de Rome au nom de l’évêque titulaire de Rome, c’est-à-dire le Pape. Certes, la cardinal Runi peut ne pas être informé du moindre événement organisé dans l’un des sanctuaires dont il a la responsabilité, mais on peut se demander comment l’appareil diplomatique du Vatican présenté comme l’un des plus efficace au monde, n’a pas attaché plus d’attention à l’événement. On peut aussi s’interroger sur la réaction du Légat Catholicossal de Saint Etchmiadzine et de l’Ambassadeur d’Arménie auprès du Saint-Siège.

Les Arméniens des trois confessions, apostolique, catholique et protestante, profondément meurtris par une telle complaisance à l’égard de ce pays génocidaire qui massacré et forcé à l’exil des centaines de milliers -un demi-million- qui vivaient sur leurs terres historiques au Nakhitchevan, en Artsakh, dans la province du Chirvan, ne peuvent qu’être scandalisés et prier leurs Églises de s’adresser à Rome pour demander des explications.

Si ce qui s’est passé à l’Université grégorienne le 10 avril dernier relevait d’une forfaiture intellectuelle et d’un camouflet infligé à toute la communauté scientifique, la pseudo-commémoration du 22 février n’était ni plus ni moins qu’un acte blasphématoire, la profanation, d’un sanctuaire au cœur du monde catholique.

Le caviar de la diplomatie de Bakou a souillé l’autel de ce sanctuaire et il est dommage que seuls les Arméniens s’en soient émus.

Sahak SUKIASYAN

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[1] https://www.lagazetteaz.fr/news/culture/7610.html

[2]  https://azertag.az/fr/xeber/la_premiere_vice_presidente_azerbaidjanaise_decoree_par_le_saint_siege-1422329

[3] Plusieurs sources azerbaïdjanaises, dont une interview d’un ancien président, Ayaz Mutalibov, présentent cette tuerie comme une manipulation des forces d’opposition en vue du renversement du pouvoir.

[4] https://azertag.az/fr/xeber/la_memoire_des_victimes_du_genocide_de_khodjaly_commemoree_a_rome-3433375