Condamnations inconséquentes, accords tacites

Lors du sommet de la Communauté politique européenne à Prague, capitale de la République tchèque, on a bien compris que Bruxelles ne sacrifierait pas son gaz pour défendre l’intégrité territoriale de l’Arménie. L’attaque militaire de l’Azerbaïdjan, les victimes, les crimes de guerre, la destruction de biens civils, la captivité illégale des prisonniers de guerre ont été sacrifiés sur l’autel de l’accord entre Ursula von der Leyen et Ilham Aliev. Cette dernière bénéficie d’ailleurs du soutien des membres de la Commission européenne et de la majorité des gouvernements de l’Union européenne. La condamnation des attaques azéries et la demande de sanctions par plusieurs parlementaires européens n’ont pas pesé lourd dans la balance. Les dirigeants occidentaux sont tous sur la même ligne, comme on a pu le voir lors du sommet de la Communauté politique européenne. L’Occident a approuvé l’attaque d’Aliev. Il est accepté par tous comme un chef d’État respecté. Personne n’est prêt à payer le prix moral de 300 morts et d’autant de blessés, sans compter les pertes territoriales, matérielles et les conséquences.
Face à cette réalité, les moyens diplomatiques des dirigeants arméniens sont très limités. Qu’a gagné l’Arménie en participant à ce sommet ? Le principal impératif est d’empêcher une guerre à grande échelle. Actuellement, la situation internationale offre de grandes opportunités à l’Azerbaïdjan pour imposer militairement l’ouverture d’un « corridor » dans le Syunik. À cet égard, l’Arménie joue la carte de la signature d’un traité de paix, ce qui est une voie compréhensible et acceptable pour la communauté internationale, car tout ce qui ne nuit pas au transport énergétique est acceptable par l’Occident.
À Prague, pour la première fois, Bakou a accepté le déploiement temporaire d’une mission civile de l’UE à la frontière arméno-azerbaïdjanaise, bien qu’avec la coopération partielle de la partie azerbaïdjanaise. Le communiqué officiel indique que les parties reconnaissent l’intégrité territoriale réciproque conformément à la Charte des Nations Unies et à la Convention de 1991 basée sur la déclaration d’Alma-Ata. Par conséquent, les travaux de démarcation devraient commencer.
Ce n’est pas la première fois que les dirigeants des deux pays, à l’issue d’une rencontre organisée sous l’égide de la Russie ou de l’Occident, déclarent reconnaître l’intégrité territoriale de l’autre. Cependant, lorsqu’ils rentrent chez eux, chacun reprend son discours habituel. Chaque jour, le ministère arménien de la Défense annonce que les positions arméniennes ont été la cible de tirs azéris, déclarant qu’il n’y a pas de pertes. En sourdine, la guerre continue. Elle continuera tant que les prisonniers de guerre sont dans les prisons d’Azerbaïdjan, tant que les territoires occupés ne seront pas restitués, et surtout, tant que les travaux de construction et d’aménagement des positions occupées se poursuivent, en prévision d’une prochaine attaque.
Dans le « traité de paix » européen, il n’y a aucune mention de l’Artsakh, ni du corridor de Syunik. Dès lors, il faut supposer que l’Arménie ait reconnu indirectement l’Artsakh comme faisant partie de l’Azerbaïdjan. Et ce, bien que la présence sur place des troupes russes de maintien de la paix offre à la Russie le statut de protecteur de l’Artsakh. L’Arménie, en tant que signataire de la déclaration du 9 novembre, est garante de la sécurité de la population arménienne et de la clarification du statut de l’Artsakh. Et la République d’Artsakh, en tant que pays ayant déclaré son indépendance, est contrainte de négocier directement avec l’Azerbaïdjan.
Parallèlement au traité de paix occidental, la Russie a également développé sa version du traité de paix, où il est souligné que le statut de l’Artsakh ne doit pas être discuté pour l’instant. D’ailleurs, Pachinian et Aliev, à peine sortis du sommet de Prague, se sont empressés de se rendre à Saint-Pétersbourg pour participer à la réunion d’anniversaire de Poutine. Ce qui montre la force de l’influence de la Russie, dans un monde polarisée. Jouant sur la différence entre les approches occidentales et russes, l’Azerbaïdjan dispose de belles opportunités pour mener sa politique offensive. C’est pour cette raison qu’il claironne encore son slogan : « Nous devons restaurer le Karabakh et Zangezour », surtout lorsqu’il bénéficie du soutien d’un allié comme la Turquie, et de la complicité de la Russie et des condamnations sans conséquence des pays occidentaux.
En l’état, la seule force qui s’oppose à l’attaque de l’Azerbaïdjan reste l’Iran, qui répète constamment qu’elle n’acceptera aucun changement des frontières. Et dans cette optique, elle a eu le courage d’ouvrir un nouveau consulat à Kapan, dans le Syunik.

J. Tch.