DÉCRYPTAGE – Le groupe de Minsk pouvait-il servir la cause artsakhiote ?

Par Marc DAVO

En Arménie, la polémique bat son plein entre les milieux gouvernementaux et les divers opposants politiques à la suite de la publication des documents concernant le processus de négociations sur le conflit du Haut-Karabakh qui a duré plusieurs années. Les uns accusent Nikol Pachinian de l’avoir conduit à l’impasse rendant ainsi la guerre inévitable et les autres chargent entièrement toutes les fautes sur le dos des anciens dirigeants. En réalité, les deux côtés s’abstiennent d’analyser et de reconnaître les nombreuses erreurs d’appréciation qu’ils ont commises tant vis-à-vis de la capacité de l’ennemi à retourner la situation en sa faveur que sur la prédisposition des puissances intéressées à venir en aide aux Arméniens.

Les critiques au sujet de la dissolution du groupe de Minsk et ses éventuelles conséquences avaient été évoquées durant relativement peu de temps. Elles n’apparaissaient que dans le cadre plus large des questions de concessions récentes du gouvernement d’Erevan aux exigences de la partie azérie pour aller vers un accord de paix. Voici qu’avec le décalage, une approche analytique intéressante a été présentée par Anna Ohanian, professeure de sciences politiques au Stonehill College aux Etats-Unis, sur la chaîne de TV ShantNews au début du mois de décembre 2025. L’analyse remet en cause le modèle de négociations prévu par l’OSCE (Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe), dès le début de sa constitution pour régler le conflit. 

Un forum de médiation limité à quelques pays 

Le conflit du Haut-Karabakh est l’un des premiers conflits importants dont le traitement a été pris en charge par l’OSCE. Eclaté sous forme de guerre ouverte entre les Arméniens du territoire sous administration azérie et la RSS d’Azerbaïdjan au moment de l’effondrement de l’Union soviétique au début de la décennie 1990, le conflit a fait l’objet d’attention particulière de l’Organisation pour gérer les éventuels soubresauts dans l’espace post-soviétique. En 1992, à Minsk, les pays membres conviennent de créer un cadre pour résoudre pacifiquement le conflit du Haut-Karabakh. Certains pays ont exprimé leur volonté de participer au groupe, dit « groupe de Minsk » (*). Celui-ci comprenait, outre l’Arménie et l’Azerbaïdjan, la Russie, les Etats-Unis, la France qui ont assuré la présidence tripartite.  

Au cours de sa longue existence, les co-présidents ont proposé plusieurs plans de solution du conflit. Les plus connus médiatiquement ont été la proposition de 1997. Très schématiquement, il s’agissait du déploiement des forces internationales sur la frontière du territoire et le traitement de la question du son statut juridique devait intervenir lors d’une étape ultérieure. L’autre projet de solution ayant fait l’objet de commentaires nombreux par les médias a été la proposition de Key West, basée toujours sur les principes dits de Madrid au début des années 2000. Tout plan de solution devait respecter trois principes fondamentaux (respect de l’intégrité territoriale, droit à l’autodétermination, non-recours à la force). 

Le point particulier qu’il convient de souligner est la mise à l’écart du Haut-Karabakh qui avait signé le cessez-le-feu de 1994, du processus de négociations avec l’arrivée au pouvoir de Robert Kotcharian à Erevan.

Tout au long du processus, à plusieurs reprises, Bakou, qui n’a jamais accepté les projets de solution, a tenté de modifier la composition du groupe, proposant que le Kazakhstan fasse partie du groupe ou que la Turquie et l’Allemagne entrent dans la co-présidence. Dans le même temps, Bakou haussait le ton contre l’inefficacité de l’action du groupe, préparant le champ diplomatique international pour un recours à la force contre le Haut-Karabakh dont les dirigeants ont persisté dans leur aveuglement à croire à la protection sans faille du Kremlin. La guerre des 44 jours de 2020 et le nettoyage ethnique de 2023 ont mis douloureusement fin à l’espoir arménien.

Concédant aux pressions de Bakou, le gouvernement d’Erevan a finalement acquiescé à la dissolution du groupe. Les instances compétentes de l’OSCE ont clôturé en septembre dernier la mission du groupe de Minsk à la demande conjointe de l’Arménie et de l’Azerbaïdjan.

Un instrument au service des intérêts des grandes puissances ?

Anna Ohanian, experte des relations internationales, rappelle que depuis la fin de la Seconde guerre mondiale, le monde enregistre environ 135 cas de tentatives de sécession, dont seulement 8 sont couronnées de succès. Ces cas de réussite se distinguent du fait qu’ils sont marqués par l’absence de recours aux opérations armées. Les négociations entre les parties au conflit ont été leur trait caractéristique. Elle souligne l’importance de l’enclenchement d’un processus de négociations entre belligérants eux-mêmes, ce qui n’a pas été le cas des pourparlers au sujet du Haut-Karabakh.

En effet, en se plaçant dans cette acception, on peut se rendre compte de l’importance que devait avoir l’existence d’un « lien institutionnalisé » entre Stepanakert et Bakou. Ce lien a totalement été absent. Le Haut-Karabakh, bien que dissout en tant que Région autonome par le Parlement de Bakou, le 25 novembre 1991, avait signé l’accord de cessez-le-feu de 1994, ce qui lui avait valu le statut de partie au conflit. Cependant, il a été éjecté totalement du processus de négociations. Le Haut-Karabakh a accepté d’« offrir » sa voix, on ne sait au nom de quoi, à Robert Kotcharian, devenu président de l’Arménie. Ce dernier, à son tour, a offert la souveraineté du pays à Moscou. Dans ces conditions, les dés étaient pipés dès le départ.

Le Kremlin a perverti le processus de pourparlers et tout au long des années, il l’a utilisé avec la complicité des forces pro-russes, pour empêcher que le traitement du conflit devienne international. Ainsi, le conflit est-il resté contrôlé régionalement. Or, le traitement de la question du Haut-Karabakh requerrait une internationalisation. Bien que Moscou soit le principal intéressé dans cette opération, l’Occident, pour sa part, n’avait pas une approche philanthropique, loin de là. Les Etats-Unis, la Grande-Bretagne, les Pays-Bas, … étaient fortement intéressés par les hydrocarbures de la mer Caspienne, outre la perspective d’accès aux richesses des pays d’Asie centrale qu’offraient les infrastructures portuaires de l’Azerbaïdjan. Le système de Minsk servait comme un moyen de faire pression sur Bakou. 

Dans ces conditions, le principe d’autodétermination des peuples, l’un des trois principes fondamentaux de la Conférence de Helsinki a cédé de facto sa place à celui de l’intégrité territoriale dont a pleinement bénéficié la diplomatie azérie menée adroitement par le père et le fils Aliev.

Dans ses interventions publiques récentes, l’ancien président Kotcharian a regretté la dissolution du groupe de Minsk, oubliant qu’à un moment donné, il a mené, au début de son mandat présidentiel, des discussions directes avec Haydar Aliev, hors cadre de Minsk, des discussions qui auraient porté sur les échanges entre Meghri et le Haut-Karabakh. On peut se demander pourquoi l’opposition s’est prononcée contre cette dissolution. Levon Zourabian, vice-président du parti du Congrès de Levon T. Petrossian, comme les opposants pro-russes, critique le gouvernement d’avoir négligé « le plan de 2019 » prétendument émanant du groupe de Minsk. Or, ce plan n’était que le plan de Lavrov et non celui du groupe. Certains partis continuent d’agir, comme auparavant, dans la droite ligne des intérêts étrangers. Les manipulations vont bon train. ■

______

(*) Arménie, Azerbaïdjan, Allemagne, Belarus, États-Unis, Finlande, France, Italie, Pays-Bas, Portugal, Russie, Suède, Turquie.

Éditorial