Par Marc DAVO
Imaginons en France, à un moment donné avant l’éclatement de la guerre mondiale, qu’un ancien président de la République plaide pour l’intégration du pays dans le IIIe Reich. La réaction aurait été à la mesure du scandale. Certes, Pétain, Laval, … tentèrent la collaboration, mais on connait le sort qui leur fut réservé à la Libération. Dans d’autres pays, tenez ! au Royaume du Maroc par exemple puisqu’on a évoqué, récemment dans cet hebdomadaire, la question du Sahara occidental. Le fait qu’un sujet du Roi remette en question la marocanité du Sahara est passible d’une peine de prison.
En Arménie, vers la fin du mois de janvier 2021, Robert Kotcharian, dans sa déclaration à la télévision, plaidait pour une « intégration moderne et complète entre l’Arménie et la Fédération de Russie ». En réalité, ces qualificatifs trompeurs signifiaient que la République d’Arménie devrait se saborder par son propre gouvernement, pour faire partie d’un autre pays dont la culture, la politique, l’histoire, … sont différentes de celles du peuple arménien. De plus, un peuple qui avait subi historiquement un rapport de type colonial établi par le pouvoir moscovite. Au cours des siècles, les Arméniens étaient devenus un peu-
ple sans État na-
tional et dans leur propre région une minorité et même comme une minorité de dhimmis (*) sous la suzeraineté d’une puissance musulmane. En conséquence, leur aspiration suprême ne pouvait être autre chose que recouvrer leur liberté dans un Etat libre et indépendant et comme la FRA-Dashnaktsoutioun a longtemps prêché, dans une « Arménie libre, indépendante et unie » (référence à la réunion des parties occidentale et orientale de l’Arménie). La République arménienne de 1918-1920 a été un rêve vite disparu sous les coups destructeurs du système bolchévique à l’établissement duquel, il faut le reconnaître, ont également participé certains Arméniens (les Kassian, Khandjian, Amirian, etc.).
L’implosion de l’Union soviétique et la proclamation de la République d’Arménie en 1991 a produit un immense espoir chez ce peuple martyrisé et dispersé dans les quatre coins du monde, en dépit du positionnement de certaines formations politiques, minoritaires, qui ne souhaitaient pas l’indépendance immédiate. Si les propos du milliardaire Ruben Vardanian au sujet d’une Arménie avec le statut du Tatarstan dans le cadre de la Fédération russe pouvaient paraître comme une curiosité malsaine, ceux d’un chef de l’Etat qui a présidé à la destiné du pays pendant 10 ans, annonçant que ce peuple ferait mieux d’accepter de nouveau le joug d’un empire qui pendant plus de deux cents ans l’a réprimé et même a cédé des régions entières d’Arménie aux voisins turcs (traités de Moscou et de Kars, … cadeau -le Karabakh- de Staline aux Azéris, …), dépassent les limites du tolérable. L’ancien président a exposé son idée très peu de temps après que le pays eut connu une défaite lourde (automne 2020), face à l’Azerbaïdjan, aidé par la Turquie, le Pakistan et des mercenaires islamistes syriens, ainsi que la Russie et Israël qui avaient fourni des armes sophistiquées à Bakou. Une Russie qui avait signé des accords de coopération stratégique avec l’Arménie. Insister pour dédouaner les manquements du pouvoir moscovite à ses engagements vis-à-vis des Arméniens d’Arménie et du Haut-Karabakh, les plus russophiles au monde, alors, « ce n’est pas une faute, c’est une trahison », pour paraphraser les propos d’un illustre ministre des Relations extérieures français.
Voici qu’à l’occasion de l’anniversaire de la signature de la déclaration tripartite du 9 novembre 2020 qui a scellée la défaite arménienne, Robert Kotcharian reprend la parole pour accuser les Arméniens(sic) d’avoir provoqué la guerre des 44 jours en 2020. Ses dires ont choqué certains médias, mais ceux qui lui sont inféodés ou sont financés par les centres ayant pour objectif la reconstitution de l’empire disparu, ont adopté par leur silence une attitude d’approbation.
D’après lui, la faute incombe aux Arméniens, alors qu’il est de notoriété publique que l’Azerbaïdjan s’armait sans relâche depuis 2003 et que la Russie, selon Sergueï Choïgou, alors ministre de la Défense, Moscou avait réalisé une « brillante opération » (sic) avec Ankara et Bakou sur le Haut-Karabakh. On ne peut pas être plus cynique quand on reprend les narratifs utilisés par Ilham Aliev pour vitupérer l’Arménie, comme vient de le faire Robert Kotcharian. On se souvient du discours du président azéri prétendant à la veille de l’attaque contre les villes du Haut-Karabakh qu’il avait réagi militairement aux actions terroristes des Arméniens.
Quant à la déclaration de Washington du 8 août dernier, naturellement, M. Kotcharian défend avec insistance la déclaration du 9 novembre 2020 « plus favorable à l’Arménie … », alors que les forces politiques qui lui sont affiliées ne cessaient de stigmatiser ce « document de capitulation ».
Le malheur est qu’en Arménie certaines formations politiques restent encore prisonnières du carcan idéologique soviétique et diffusent des idées selon lesquelles « sans la protection de la Russie pas de salut ». Leur aveuglement d’ignorer l’autoritarisme, la corruption et la sclérose socio-économique qui prévalent en Russie poutinienne ne pourra pas aider l’Arménie à consolider son développement et in fine son indépendance. La place de l’Arménie est au sein de la civilisation occidentale puisqu’elle en est issue. En l’état actuel des rapports de forces sur le plan international c’est vers cet espace dont les valeurs lui sont proches qu’elle doit regarder.
Par ailleurs, il est regrettable qu’en France, au sein de la diaspora arménienne il y ait aussi des personnalités et forces politiques qui répètent les narratifs adoptés par le camp dit de l’opposition parlementaire arménienne, inspirés directement par le Kremlin. Ces narratifs reflètent le soutien du Kremlin au régime autoritaire de Bakou. Dans les pays occidentaux, les diasporas arméniennes sont souvent peu informées, sinon mal informées, des agissements malveillants des ennemis de l’indépendance de l’Arménie. Un renouvellement démocratique des structures sera indiscutablement bénéfique tant aux diasporas elles-mêmes qu’à la société arménienne dans sa République indépendante. ■
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(*) Dhimmis : terme arabe signifiant « les peuples du livre » comme les Chrétiens qui sont admis à vivre dans un pays musulman, mais qui constituent des citoyens de seconde zone.