DÉCRYPTAGE – Le Sud-Caucase à Sharm el-Sheikh

Par Marc DAVO

Dans la droite ligne des réflexions présentées dans « Le Grand Moyen-orient trumpien », article publié dans NH-Hebdo (N° 461 du 22 mai 2025), on peut légitimement s’interroger sur le sens de la participation d’Ilham Aliev et de Nikol Pachinian au sommet de Sharm el-Sheikh sur la paix au Moyen-orient, le 13 octobre dernier.

Organisé par les Etats-Unis et l’Egypte, ce sommet, intitulé de façon élargie à la région, mais en réalité, consacré à la guerre à Gaza, relève de l’initiative de Washington. Le président Trump a demandé la tenue de cette réunion non pas seulement parce que le succès de celle-ci pourrait lui ouvrir la perspective d’un prix Nobel de la paix, mais surtout que cet événement entre dans le cadre de son projet de réorganisation du Grand Moyen-orient où les Etats-Unis devraient jouer le rôle principal de mentor des pays de la région. L’initiative franco-saoudien à New-York, visant à reconnaître l’Etat de Palestine semble, à mon sens, avoir accéléré la mise sur pied de ce sommet, sans pour autant peser significativement sur les fondamentaux du plan américain.

A l’issue du sommet dont la tenue a été rendue possible à la suite de  l’acceptation par le Hamas des conditions américaines, notamment la libération de tous les otages israéliens (et la remise aux autorités israéliennes des dépouilles des otages décédés), la phase 1 est achevée avec succès, peut-on le dire. Les deux phases suivantes devraient se succéder selon un calendrier prévu, cependant que les modalités pratiques ne sont pas tout à fait clarifiées.

Les présents et les absents

A noter que la présence d’un pays qui sera appelé à jouer sur l’échiquier régional selon le plan américain, témoigne de l’importance de son poids politique ou financier. Cependant, l’absence de certains pays doit être interprétée non pas du fait de la volonté américaine, comme c’est le cas de la Russie, mais due aux contraintes de politique intérieure du pays concerné (Arabie saoudite ou Iran).

Revêtant l’aspect d’un show à l’américaine, la séance de clôture a été l’occasion pour Donald Trump de remercier les participants et de veiller à la signature des documents par deux acteurs régionaux importants, le Qatar et la Turquie (les Etats-Unis et l’Egypte ont également signé ces documents). Le premier, représente le Hamas et y joue le rôle de conseiller et de financier, la seconde exerce auprès de cette organisation islamiste une certaine influence et surtout, elle s’attribue un rôle politique et militaire depuis plusieurs années déjà au Proche-orient (Syrie, nord de l’Irak) avec l’assentiment de Washington. Ces deux pays apparaissent en première ligne.

Par ailleurs, la présence du Premier ministre pakistanais et du dirigeant indonésien laisserait penser plutôt à l’éventualité d’un envoi des troupes sur le terrain ou au consentement de deux pays musulmans démographiquement importants. Quant à celle de certains pays européens, dont la France, il convient de ne pas perdre de vue qu’ils souhaitent éviter leur marginalisation dans une région avec laquelle l’Europe a des relations historiquement de longue date.

Enfin, étaient absents à ce sommet, le prince héritier d’Arabie saoudite et le Premier ministre Netanyahou. Cependant leurs exigences sur lesquelles je ne vais pas m’appesantir, car hors de l’objet de cet article, ont pesé de façon significative et qui, dès le départ, ont été prises en considération par Washington.

L’absence de Mohammed bin Salman s’expliquerait par la prudence de l’Arabie saoudite dont le souverain, le roi Salman, reste sensible au sort des Palestiniens comme l’opinion publique interne. En tout état de cause, l’Arabie saoudite est un acteur majeur dans la région, appelée à intervenir dans l’équilibre des rapports de force, notamment face à la Turquie. Curieusement, la République islamique a été invitée, mais le porte-parole du ministère iranien des Affaires étrangères, sur un mode modéré, a expliqué le refus du régime d’y participer à la suite de la guerre des 12 jours. Cependant, le fait d’inviter l’Iran signifie que ce pays sera considéré comme l’un des acteurs majeurs de la région, une fois la question litigieuse du nucléaire résolue.

Vers une nouvelle configuration régionale

En l’état actuelle des choses, la perspective d’une nouvelle configuration de la région débute par les accords d’Abraham concoctés par Washington sous le premier mandat de Trump. Pour aller rapidement, je dirai qu’il s’agit d’une série d’accords entre Israël et les pays arabes (dont certains ont déjà signé, comme les Emirats arabes unis, le Maroc, …), en vue de la normalisation de leurs relations. L’objectif des Américains consiste à faire adhérer les pays de la région à ces accords qui entérineront l’insertion de l’Etat d’Israël dans le concert régional.  Ces accords devraient mettre fin sous l’égide de Washington au conflit interminable qui secoue le Moyen-orient.

À ce stade de l’évolution des rapports de forces dans la région, une curiosité politique est à relever, l’absence ou l’éviction (temporaire ?) de la Russie. En effet, Vladimir Poutine n’a pas été invité à la réunion. Et, eu égard à l‘attitude nettement pro-russe adoptée par le régime de Bidzina Ivanishvili, la Géorgie semble, pour l’instant, avoir été mise à l’écart.

Dans ces conditions, les deux Etats sud-caucasiens, l’Arménie et l’Azerbaïdjan, ont-ils été invités comme figurines ? Certainement non. Certes l’aspect symbolique du succès enregistré à Washington le 8 août dernier, est à prendre en considération. Les accords obtenus sous la houlette du président américain montrent la volonté déclarée de ce dernier de faciliter le rétablissement de la paix, du moins, d’enclencher un processus qui aboutirait à une paix dans la sous-région. En ce sens, l’exemplarité du projet de route de Trump à travers Meghri est hautement symbolique de la réussite de la tentative américaine qui est parvenue à imposer, en quelque sorte, pour un temps, un état de non-belligérance entre l’Arménie et l’Azerbaïdjan, bien que ce dernier soit en position très favorable dans la balance (supériorité militaire et financière, soutien affiché d’Ankara, retenue de Moscou et bienveillance des autres membres de l’Organisation du traité de sécurité collective).

L’affaiblissement de l’influence de Moscou, ainsi que celui de Téhéran, en dépit des déclarations et rappels au sujet des lignes rouges iraniennes sur Meghri auxquelles semblent croire naïvement certains milieux d’experts arméniens, créent une aubaine pour la puissance régionale incontournable qu’est devenue la Turquie. Ainsi, il est impensable que cette dernière n’intègre pas le Sud-Caucase dans sa stratégie de développement politique et sécuritaire (d’où viennent ressources pétrolières et gazières, …), ce qui placerait cette zone sous l’influence des événements de l’espace moyen-oriental en en faisant une marche nord-orientale du Grand Moyen-orient.

Dans cette acception, les deux pays sud-caucasiens ne font pas leur entrée dans l’espace considéré de manière égale ou équilibrée. La faiblesse de l’Arménie est en grande partie due à la pusillanimité de sa diplomatie pendant des années, pour ne pas dire à ses erreurs d’évaluation des forces réelles dans la région. La tournée régionale de Raffi Hovhannessian, alors ministre des Affaires étrangères, en 1991, est restée quasiment sans lendemain. Le cas du Liban, grâce à une communauté dynamique et à un ambassadeur d’Arménie compétent, est l’exception qui confirme une situation de quasi absence de la diplomatie arménienne. En revanche, l’Azerbaïdjan a développé une diplomatie active, même avec des moyens peu recommandables (diplomatie du caviar, trafic d’influence, …) tant vis-à-vis des pays arabes qu’Israël, aidée en cela par le réseau diplomatique turc.

Il est souhaitable qu’Erevan s’appuie outre sur ses représentations diplomatiques, sur les associations arméniennes locales aussi en leur insufflant l’énergie d’action nécessaire fondée sur une diplomatie régionale cohérente aussi bien en direction des pays arabes qu’Israël. La petite mais ancienne communauté arménienne de Jordanie, celle de Dubai, mais aussi celle de Jerusalem représentent un atout non-négligeable. Shosh Bedrossian, porte-parole au sein du cabinet israélien, ou Varsen Aghabekian-Shahin, ministre au sein de l’autorité palestinienne, ou tant d’autres dans les associations, chacun à sa manière, peut prodiguer des conseils utiles dans le choix des domaines de relations et de coopération bilatérales, à un appareil diplomatique arménienne resté longtemps comme une annexe de la Russie.

Éditorial