DÉCRYPTAGE – Un mois de mai chargé

Par Marc DAVO

Fin mai, j’ai jeté un coup d’œil rétrospectif sur l’actualité du mois en Arménie, et à mon grand étonnement, j’ai repéré des signaux contradictoires venant des événements politiques importants. Des visites, des discours et affirmations, des manipulations, des intoxications, que sais-je encore, reflètent des prises de position dont les effets se feront sans doute sentir dans les mois à venir.

>>> Visite contestée, visite de mécontentement, 

visite d’avertissement …

– La plus remarquée et vigoureusement contestée fut la visite de Sergueï Lavrov à Erevan (21 mai). Condescendant, recourant sans hésitation aux contre-vérités, le ministre des Affaires étrangères de Russie, donnait l’impression qu’il foulait le sol d’une colonie. Un groupe de contestataires, pancartes brandies, a manifesté devant le ministère scandant des slogans contre « Poutine et Lavrov assassins ». Les manifestants, sous la pression de la Police, ont quitté les lieux et se sont déplacés vers l’ambassade de Russie, pour tenir devant l’immeuble les posters et placards contre le dirigeant du Kremlin.  

La conférence de presse commune avec Ararat Mirzoyan a été diffusée par la Télévision le soir même. Les téléspectateurs ont pu remarquer l’excellent questionnement par le journaliste de Factor TV, Narek Kirakossian, qui a rappelé au ministre Lavrov le manque de solidarité et les forfaits commis par la Russie à l’égard de son « allié stratégique » qu’est l’Arménie.  Il a posé la question qui doit interpeller tout Arménien, à savoir comment la Russie a continué de vendre des armes létales les plus modernes à l’Azerbaïdjan, ennemi déclaré de l’Arménie, alors que celle-ci a signé en 1997 un accord de coopération et reste encore membre, à l’inverse de l’Azerbaïdjan, de l’OTSC (Organisation du traité de sécurité collective). La réponse de Sergueï Lavrov a sidéré le public, sauf, sans doute, les forces politiques dites d’opposition, financées par le Kremlin. Les déclarations du ministre Mirzoyan n’ont pas brillé non plus par leur clarté et détermination. 

– Contrairement à M. Lavrov, Jean-Noël Barrot, ministre des Affaires étrangères, s’est rendu au Tsitsernakabert (26 mai). Ses propos, lors de la conférence de presse, n’ont pas transgressé le ton et le cadre habituels du langage diplomatique. Il a souligné les points positifs des relations bilatérales. Il aurait dû reprocher aux autorités arméniennes leur pusillanimité dès lors qu’il s’agit de relations bilatérales dans le domaine économique. Les exemples regrettables ne manquent pas, comme le projet de voie ferrée rapide Erevan-Armavir ou celui proposé par une entreprise française de production d’énergie solaire près du mont Aragats, qui a dû passer à la trappe à la suite des manœuvres dilatoires du ministère arménien de l’Économie, etc.

L’annonce de l’ouverture d’une agence consulaire, dirigée par une consule honoraire en la personne d’une enseignante du français à Goris, structure nettement moins importante politiquement qu’un consulat doit-elle être considérée comme l’expression du mécontentement du côté français face au « manque de sérieux » (sic) dans les engagements du gouvernement d’Erevan, comme l’interprète Tigran Khzmalian, chef du parti européen d’Arménie (Noyan Tapan TV) ? 

– Il convient de faire cas d’une 3e visite, celle du Sous-secrétaire d’État-adjoint américain chargé des Droits de l’Homme, Jacob McGee (29 mai), qui a eu des entretiens avec les autorités arméniennes compétentes. A noter que le président Trump s’est adressé par lettre à Ilham Aliev -qui n’a pas fait le déplacement de Moscou pour la cérémonie du 9 mai- à l’occasion de l’anniversaire de l’indépendance de l’Azerbaïdjan. Nikol Pachinian qui s’est rendu à la Place rouge, a eu droit aux propos que M. McGee lui a rapporté et non à une lettre du président américain. 

>>> Vérité historique, haro sur Artsroun Hovhannissian

Tandis que le Premier ministre Pachinian, assis à côté d’Alexandre Loukachenko regardait passer le défilé militaire, le 9 mai sur la Place rouge, Ara Papian, ancien ambassadeur au Canada et directeur du centre de recherche Modus Vivendi, puis le Colonel Artsroun Hovhannissian, ancien porte-parole du ministère de la Défense, se sont exprimés sur le pacte Ribbentrop-Molotov, véritable cobelligérance, ainsi que la contribution des uns et des autres dans la défaite de l’Allemagne nazie. Les remarques ont été également portées sur l’enseignement de l’histoire de cette période en Arménie, qui reproduit la même chose qu’à l’époque soviétique. Les critiques ont souligné certaines contre-vérités, voire des mensonges que le système stalinien avait inventés et présentés comme la réalité des événements.  Ils ont notamment qualifié de « mythe », la bataille de Stalingrad qui « a sauvé le peuple arménien », « empêchant la Turquie d’envahir » l’Arménie soviétique.

L’ambassadeur de Russie en Arménie, Sergueï Kopyrkine, qui ne s’interdit pas de de donner des leçons aux Arméniens, a contesté les déclarations du Colonel Hovhannissian les qualifiant de « fausses » et de « sacrilèges ».  Certains affidés du modèle stalinien présents dans le « parti de l’étranger » s’en sont offusqués aussi, oubliant peut-être que 600 000 Arméniens mobilisés avaient participé à la guerre et 300 000 d’entre eux, toute une tranche d’âge d’une population ayant déjà subi un génocide en 1915, sont restés sur les champs de bataille. Sans l’aide matérielle et financière de l’Occident, surtout des Etats-Unis, le rouleau compresseur russe n’aurait pas vaincu la Wehrmacht sur le front de l’est.

>>> Anniversaire du 28 mai

La date anniversaire de la proclamation de l’indépendance et l’installation de la « République arménienne » (appellation officielle de la Ière République indépendante) ont fait l’objet de rappel dans les médias arméniens. Les dirigeants de la République d’Arménie se sont rendus à Sardarapat et une cérémonie de dépôt de gerbe a eu lieu. Ne voulant manifestement pas rester en retrait, Lilit Galstian, membre du Bureau mondial de la FRA-Dashnaktsoutioun et députée membre du groupe parlementaire « Hayastan » de Robert Kotcharian, invitée, le jour même, de Sako Arian, directeur de la plateforme d’information Arevelk (Orient), a rendu un vibrant hommage à « ce jour marqué par la construction étatique » et a souligné que sa formation politique restait « le socle de la souveraineté nationale et de l’imprescriptibilité de l’édifice étatique ».  

Reste à savoir si ces affirmations n’entrent pas en contradiction flagrante avec l’idée d’une Arménie intégrée dans l’État d’Union que le chef du groupe « Hayastan », Robert Kotcharian, se propose de promouvoir. Des milliers de jeunes arméniens tombés en champ d’honneur lors de la guerre de 1991-94 en Artsakh ou celle des 44 jours (2020) ne se sont pas sacrifiés pour faire entrer l’Arménie comme un gouvernorat dans l’empire que Vladimir Poutine s’efforce de ressusciter. L’indépendance de l’Arménie en 1991 a donné un nouvel espoir aux Arméniens de la diaspora. Les Arméniens devraient réfléchir plus qu’une fois avant de soutenir un quelconque parti politique sensible aux sirènes poutiniennes, mais en réalité fossoyeur de l’indépendance de l’Arménie.  

>>> And last but not least

Encore une « anomalie » à laquelle soi-disant l’élite artsakhiote a habitué le public. Accrochés à leur « privilège », les députés (28 sur 33) se sont réunis (21 mai) pour reconduire leur instance, dont le mandat arrivait à échéance en mai. A l’unanimité, ces personnes ont désigné Achot Danielian comme président, en remplacement de Davit Ichkhanian, prisonnier à Bakou. Comble de l’absurdité, ces mêmes personnes comptent désigner Samuel Chahramanian, seul candidat à sa succession, pour présider un État qu’il a lui-même dissout en 2023 ; un chef qui ressemble à « il generale dell’armata morte » (film adapté du roman de l’écrivain Kadaré par Luciano Tovoli en 1983). Au lieu de s’incruster dans leurs fonctions désormais sans objet, ils devraient voter la dissolution du parlement qui n’a ni légitimité, ni légalité après tout et mettre en place des organisations non-gouvernementales chargées des secteurs qui intéressent directement les Artsakhiotes expulsés vers l’Arménie, secteurs relevant du logement, de la santé, du travail, etc. laissant la commission présidée par l’ancien ministre des Affaires étrangères, Vardan Oskanian, plaider la cause artsakhiote auprès des organisations internationales. ■