Des drapeaux et des hommes

Il y a quelques jours, le ministère des Affaires étrangères d’Azerbaïdjan a publié une déclaration concernant de récentes atteintes au drapeau azerbaïdjanais en Arménie et en France à l’occasion de commémorations du 110e anniversaire du Génocide. Le texte précisait  « Nous condamnons fermement l’autodafé du drapeau azerbaïdjanais lors de la procession aux flambeaux à Irevan[1], capitale de l’Arménie, le 23 avril, ainsi que lors d’un rassemblement de la communauté arménienne à Paris, capitale française, le 24 avril. Les gouvernements arménien et français auraient dû immédiatement empêcher de telles campagnes de haine ethnique et prendre les mesures de sécurité appropriées. Les gouvernements arménien et français devraient traduire en justice les responsables de ces actes. De tels actes, qui témoignent clairement d’un esprit de revanche et de haine ethnique en Arménie et au-delà, doivent être condamnés et empêchés au niveau international ».

Selon l’agence azérie APA, quelques jours plus tard, madame N. Baghdassarian, porte-parole du Premier ministre Nikol Pachinian indiquait que ce dernier « condamnait l’incendie de drapeaux azerbaïdjanais et turcs lors d’une procession aux flambeaux à Erevan »[2]. N. Pachinian avait également qualifié cet acte de « provocation » et déclaré « Un chef d’État ne peut pas considérer autrement l’autodafé de drapeaux d’États internationalement reconnus, en particulier ceux des pays voisins. Il s’agit d’un acte de provocation ».

Prenant une fois de plus le risque de s’attirer les foudres de son opposition, d’une partie de l’opinion publique arménienne, en Arménie et en diaspora, M. Pachinian a eu les propos qui conviennent à un homme d’État respectueux de l’ordre et des pratiques internationales. Ce qui n’est jamais le cas de son voisin azerbaïdjanais.

Dans le même temps, le gouvernement de ce pays s’érige une nouvelle fois en parangon, en authentique « gardien » des lois et conventions internationales, exigeant des autres leur respect, alors qu’il les bafoue lui-même de manière permanente.

Je ne suis personnellement pas un fan de l’autodafé de drapeaux quels que soient les pays concernés, mais il ne me semble pas inutile de rappeler l’un des premiers gestes, largement médiatisé, du dictateur de Bakou entrant à Stepanakert en octobre 2023 après l’épuration ethnique qu’il venait de réaliser avec l’aide de la Russie et dans le silence des capitales du reste du monde.

Après avoir pénétré dans l’un des bâtiments officiels de la capitale de l’Artsakh, il avait alors ostensiblement foulé aux pieds le drapeau de la République d’Artsakh. Au fond, un peu comme « la plèbe » turque qui brûle le drapeaux d’Israël, son allié, à Ankara ou dans d’autres villes turques.

On ne peut certes pas en vouloir à Ilham Aliev de ne pas comprendre et admettre qu’en injuriant ce drapeau, il outrageait l’une des plus belles pages de l’histoire de la région, et du coup de son propre pays. Cette démocratie artsakhiote, malgré ses défauts et ses erreurs, a été la seule expérience de démocratie sur les territoires qu’occupe aujourd’hui l’Azerbaïdjan. Et nous espérons bien la reprendre un jour.

Aujourd’hui, après 107 ans d’existence – c’est très peu pour un État – l’Azerbaïdjan continue de se comporter en prédateur et il constitue une véritable menace pour la paix de la région. Car cet état tiré par la grâce de la Turquie du néant de l’histoire  en 1918 se comporte toujours un siècle plus tard en voyou à l’échelle régionale et internationale.

Il reste beaucoup à apprendre à ce pays et à ses dirigeants qui, tels des « nouveaux riches », pensent que tout s’achète, ou que tout peut être pris par la force. Mais il est encore en ce bas monde des choses qui ne s’achètent pas.

Après la « Guerre des 44 Jours », I. Aliev avait fait aménager à Bakou un « parc des trophées»[3] pour exalter sa victoire et ridiculiser l’armée arménienne et ses soldats.  Méprisant le « Droit de la guerre » traditionnel internationalement reconnu, il a ensuite foulé aux pieds à Sdepanakert l’étendard de ses ennemis.

Lors d’une prochaine, mais très hypothétique, visite à Paris, le protocole pourrait prévoir pour lui une visite à la cathédrale saint Louis des Invalides où sont conservés des centaines de drapeaux pris aux armées combattues par la France tout au long de son histoire. Parmi ses oriflammes, sept drapeaux allemands datant de la Première guerre mondiale demeurent jusqu’à ce jour accrochés à la tribune d’honneur. Ils sont considérés comme des éléments du patrimoine national français.

En France, et plus largement dans l’ensemble du « monde civilisé », même défait, l’ennemi reste digne de respect.

Il en est des hommes comme des drapeaux, mais malheureusement, l’Azerbaïdjan n’est pas la France …

Gorune S.

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[1] Le nom turco-azerbaïdjanais utilisé par les nationalistes expansionnistes azéris pour désigner la capitale arménienne.

[2] Dans ce communiqué, cette agence azerbaïdjanaise parle de « prétendu génocide arménien »

[3] On notera qu’il s’agit, comme au temps des invasions barbares, non de glorifier un combat, une victoire, mais de rapporter comme le fruit d’une campagne de rapine, des « trophées » https://youtu.be/0n7dKGkz99Q?si=n8rm1TUvW374xEtG