ÉDITORIAL – Le livre, indicateur de l’identité culturelle

En cette fin d’année, les salons du livre se succèdent, à l’instar d’Amen’livre, de celui de l’UCFAF ou de la braderie de Chène. Ces événements proposent des livres et d’autres objets, idéaux pour les cadeaux du Nouvel An.

Au-delà de l’aspect festif, le livre est avant tout un indicateur de la vitalité intellectuelle, créative et culturelle de la communauté. C’est ce que suggèrent les ouvrages présentés à l’exposition « Trésors arméniens d’une culture en mouvement 1512-1828 », au musée Notre-Dame de la Garde à Marseille, qui illustrent de manière frappante comment l’adoption de l’imprimerie par les Arméniens a mené à leur réveil culturel. De même, le dernier livre de Boris Adjemian, « La Bibliothèque et le survivant », met en lumière la vision de l’intellectuel Aram Andonian, fondateur de la Bibliothèque Nubar, pour qui le livre et la bibliothèque permettaient de recréer le foyer arménien pour les rescapés du génocide. Le livre et l’écrit ont joué un rôle fondamental dans la culture arménienne. Les exemples sont nom-breux, de Mesrop Machtots aux Mékhitaristes, jusqu’à la fondation du journal « Haratch » à Paris par Schavarch Missakian, qui voyait lui aussi dans la publication du journal un moyen de réunir les Arméniens dispersés et de leur restituer la patrie perdue par l’écriture.

Du 6 au 13 décembre, Hamaskaïne Beyrouth a également organisé un Festival du livre arménien. Si les ouvrages exposés aux salons de Paris et de Beyrouth présentaient des caractéristiques et des différences culturelles notables, tous deux révélaient une baisse quantitative des publications en arménien hors d’Arménie. La cause n’est ni Internet, ni le livre électronique. À Paris, les nouvelles publications en français sur les Arméniens et l’Arménie étaient nombreuses ; une dynamique éditoriale tout aussi forte existe également aux États-Unis pour les ouvrages en anglais. À Beyrouth, en revanche, bien que les livres exposés fussent à 99 % en arménien, les nouvelles parutions faisaient cruellement défaut. Celles présentes étaient en grande partie des éditions à compte d’auteur. A contrario, les ouvrages de trois éditeurs invités d’Arménie se distinguaient par leurs nouveautés en arménien oriental. Lors de la table ronde consacrée aux défis actuels de l’édition arménienne, le directeur fondateur des éditions « Bookinist » a même déclaré qu’en 2025, il enregistrait un record historique de ventes pour sa maison d’édition.

Dans un passé encore récent, la diaspora avait trouvé à Beyrouth sa capitale culturelle et sa langue. Mais la guerre civile, l’instabilité politique au Moyen-Orient, les attaques israéliennes, la question palestinienne, la crise financière et l’explosion du port en 2020 ont gravement nui à ce foyer culturel, poussant les membres actifs de cette communauté à l’émigration vers l’Arménie ou l’Occident, et lui ôtant de sa superbe. Néanmoins, Beyrouth et certaines communautés du Moyen-Orient, comme celle d’Istanbul, bien qu’affaiblies, ont préservé une identité culturelle où l’arménien occidental demeure la langue maternelle. Au Liban, le réseau d’écoles arméniennes, la présence des Catholicossats apostolique et catholique, l’Université Haigazian, ainsi que l’influence des trois partis traditionnels, la structure communautaire libanaise et le village d’Anjar restent de puissants facteurs de préservation de l’identité et de l’arménophonie. Malgré cela, la vie culturelle y apparaît très appauvrie comparée à Erevan, voire à Paris, un constat rendu visible par la nature des livres exposés lors de ce salon.

Malgré la révolution numérique, le livre conserve son charme et son importance en tant qu’objet culturel. Il révèle beaucoup du caractère de la communauté qui le voit naître. En dépit des divergences politiques, Beyrouth s’appuie désormais sur Erevan pour préserver son identité culturelle. Quant aux autres communautés de la diaspora, malgré les différences et la barrière linguistique, elles prennent désormais en compte ce nouvel acteur majeur qu’est Erevan pour leur identité culturelle et linguistique. 

J. Tch.

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