ÉDITORIAL – Vers la 4e République

À l’occasion du 34e anniversaire de l’indépendance, le passage concernant l’avènement de la 4e République a été le clou du message du Premier ministre Pachinian. Elle devrait consacrer une ère de paix. La permanence de la guerre caractérisait la 3e République. Pour le Premier ministre, depuis le 8 août, jour de la présignature de l’accord de paix à Washington, l’Arménie a déjà entamé une ère de paix. Le président Khatchatourian a également souligné dans son message la nécessité de parvenir à la paix.

Cependant, le premier président d’Arménie Levon Ter-Petrossian (LTP), fervent défenseur de la politique de paix, a réagi de manière sinistre à la déclaration du Premier ministre Pachinian. Parmi de nombreuses accusations diffamatoires, il le range parmi les traîtres de l’histoire arménienne :
« Une chose est sûre : Pachinian a déjà assuré sa place “honorable” sur le monument commémoratif des tristement célèbres traîtres arméniens, aux côtés de Meroujan Artzrouni, Vahan Mamikonian, Vassak Suni, Mélik Chahnazar et Mélik Frangul. »

Quel serait le mobile du premier président de la République d’Arménie pour une telle déclaration contre le Premier ministre actuel qui est investi par le peuple à la suite des résultats d’élections démocratiques ? Il est malheureux de voir le discours politique arménien emprisonné dans un cadre misérable de « traîtrise », surtout de la part d’une figure d’État comme le premier président d’Arménie, qui est considéré comme un intellectuel, un universitaire, un stratège. De plus, il reprend le discours de l’opposition parlementaire, dont les chefs de file Robert Kotcharian et Serge Sarkissian l’avaient persécuté et obligé à démissionner de sa fonction de président de la République en 1998, à cause de ses prises de position à contre-courant de la pensée politique de l’époque concernant la résolution du conflit du Haut-Karabakh.

Il faut comprendre ce qui est à l’origine de la rancœur de LTP vis-à-vis du Premier ministre : quel est l’objectif politique inavoué ? Se désolidariser de la politique de paix poursuivie par Pachinian, mais imposée par la défaite de 2020 ? Après la révolution de velours de 2018, LTP avait constamment exhorté Pachinian à mener des négociations afin de conclure la paix avec l’Azerbaïdjan. Il avait fait la même exhortation dans le passé à Robert Kotcharian et Serge Sarkissian, mais ces derniers ne l’avaient pas écouté, comme ne l’a pas écouté l’actuel Premier ministre.

Mais cet argument est-il une raison suffisante pour accuser Pachinian de traître à la nation ? Le premier président de la République sait bien que le chef du pouvoir exécutif ne détient pas le pouvoir absolu, surtout en Arménie, où les ministres des forces de police et des armées sont fortement dépendants de leurs homologues de la Fédération de Russie. Il en va de même pour ce qui concerne la politique étrangère, et même LTP en a payé le prix lorsqu’il était président, n’ayant pas réussi à imposer sa politique et ayant été contraint de démissionner.

Et puis, il ne faut pas négliger le résultat des urnes. Le pouvoir en Arménie se forme par le biais d’élections, de préférence libres et indépendantes. À quel point est-il juste et décent qu’une accusation soit portée par l’ancien président LTP, qui a obtenu 1,54 % des voix aux dernières élections ? Cette accusation porte un coup dur à la fragile stabilité politique du pays. Il aurait été judicieux que LTP reste sur sa gloire et sa stature de premier président de la République sans faire d’accusations déplacées et méprisables.

La sûreté de l’État sous la 3e République était construite sur l’alliance et la protection militaire de la Russie, partenaire stratégique, qui ont pris fin à l’issue de la guerre de 44 jours de 2020. Depuis cette défaite, les fondements de la 4e République ont été posés : mener une politique d’indépendance vis-à-vis de la Russie et réaliser des alliances stratégiques diversifiées et multipolaires, sans rompre la coopération avec elle. LTP a fait de très justes prédictions dans le passé concernant la défaite de l’Arménie en cas de conflit armé avec l’Azerbaïdjan, soutenant que le statu quo n’était pas favorable pour l’Arménie et que le temps jouait contre elle. Tous les dirigeants d’Arménie ont commis des erreurs fatales. Tous ont aussi été appelés « traîtres » par leur opposition. Il est temps de fermer la page de ces accusations déplacées et de mener une lutte politique saine et juste pour s’emparer du pouvoir et diriger le pays.

J. Tch.

Éditorial