Entre méfiance et ouverture

Si l’on fait abstraction de la parenthèse soviétique, pendant laquelle son existence était protégée au prix d’une soumission totale à Moscou, la fête de l’indépendance de la Première République d’Arménie, célébrée le 28 mai, nous rappelle le danger existentiel qui plane sur la République d’Arménie, plus d’un siècle après son avènement. Contrairement à la Géorgie et à l’Iran, ses voisins du nord et du sud, l’Azerbaïdjan, son voisin de l’est, se manifeste comme un ennemi redoutable : il menace sa souveraineté, son intégrité territoriale et son indépendance, étant soutenu en cela par la Turquie à l’ouest, et la Russie au grand nord, cette dernière prétendant être par ailleurs l’alliée historique de l’Arménie.

Quatre événements diplomatiques majeurs ont émaillé ce mois de mai 2025, soulignant la nouvelle ligne de la politique étrangère de l’Arménie, marquée par une approche nuancée entre l’ouverture à l’Ouest et le rejet de l’alliance historique avec la Russie.

D’abord, le 9 mai 2025, la participation du Premier ministre Pashinian à la commémoration du 80e anniversaire de la Grande Guerre patriotique. Un fait accueilli très positivement par les dirigeants russes. Dans la même foulée, la première visite officielle depuis plusieurs années, du chef de la diplomatie russe, Sergueï Lavrov, en Arménie. Ces deux événements envoient les signaux d’un réchauffement des relations bilatérales russo-arméniennes dans un contexte de dégradation continue durant ces dernières années. Ainsi, les dirigeants politiques arméniens tentent d’équilibrer leur politique étrangère, marquée jusqu’ici par une ouverture à l’Ouest, ainsi que par une grande méfiance envers l’alliance avec la Russie, notamment après la défaite de la guerre de 44 jours et le nettoyage ethnique du Haut-Karabakh.

Pour la première fois, la colère contenue d’une partie de la population arménienne s’est exprimée dans la rue par des affiches déclarant « Poutine assassin ». La conférence de presse commune entre Lavrov et son homologue arménien Ararat Mirzoyan a révélé de profondes divisions. Les sujets de friction étaient nombreux, notamment le gel de la participation d’Erevan à l’Organisation du traité de sécurité collective (OTSC) et les critiques publiques envers la réponse de Moscou (ou son absence de réponse) face à l’offensive azerbaïdjanaise de 2023 dans le Haut-Karabakh ainsi que l’achat d’armes à la France…

Les deux autres faits marquants sont, d’une part, la participation du Premier ministre arménien à la conférence de la Communauté politique européenne à Tirana le 16 mai 2025, au cours de laquelle il a rencontré Ilham Aliev et Recep Tayyip Erdogan, et, d’autre part, la visite du ministre français Jean-Noël Barrot, qui contrastait fortement avec celle de Lavrov. Cette visite, qui s’est déroulée les 26 et 27 mai 2025 dans le cadre de la deuxième édition de la conférence internationale «Yerevan Dialogue», témoignait d’un engagement français durable et s’inscrivait dans une dynamique de rapprochement structurel entre Paris et Erevan.

L’Azerbaïdjan tire paradoxalement profit de la confrontation entre l’Occident et la Russie, qui le considèrent comme un partenaire stratégique, lui permettant de maintenir ses menaces envers l’Arménie. Cette confrontation permet également à l’Arménie de bénéficier des retombées économiques de ses relations avec la Russie et du soutien politique et diplomatique occidental, favorisant son réarmement et le renforcement de sa sécurité. L’Iran, hostile aux revendications territoriales azerbaïdjanaises, assure l’Arménie de son soutien, un appui important en cette période.

J. Tch.