Quinze ans après la sortie de leur premier album, les troubadours de Papiers d’Arménies reviennent avec un nouvel opus intitulé « Guenats Pashas ». Du blues de Constantinople au rébétiko du Pirée, de la chaude et douce Tiflis à l’épicerie Hay Ararat d’Alfortville, le quintet nous raconte son Arménie à travers des compositions originales et des chants populaires portés par les voix captivantes de Dan Gharibian et Macha Gharibian. Accompagnés d’Aret Derderyan (accordéon), Gérard Carcian (kamantcha) et Artyom Minasyan (doudouk, clarinette), père et fille nous partagent leurs voyages, leurs amours, leurs larmes et leurs rêves à travers des airs traditionnels d’Arménie, de Géorgie, de Grèce et de Turquie.
« Nor Haratch » – Qu’est-ce qui a motivé à sortir un nouvel album après tant d’années ?
Dan Gharibian – Disons qu’on est un groupe un peu lent (rires) ! En fait, on ne travaille pas qu’avec Papiers d’Arménies. Macha a ses projets, moi j’ai les miens. En ce qui me concerne, j’ai arrêté l’aventure avec Bratsch fin 2015 et je me suis lancé dans un projet de trio avec d’autres musiciens. Mais c’est vrai qu’entre nous, on évoquait la possibilité d’un nouvel album.
« NH » – Macha, de votre côté, vous avez aussi développé votre carrière solo…
Macha Gharibian – Effectivement, dans mon parcours de pianiste, j’ai commencé par la musique classique avant de bifurquer vers le jazz. J’ai publié un premier disque en quartet avec trois musiciens français à Paris, en 2013. Un second disque est sorti en 2016 avec encore plus de musiciens, suivi d’un troisième en 2020. Avec Papiers d’Arménies, on avait enregistré ce premier disque en 2005, qui est sorti en 2006, avec lequel on a tourné en France, en Allemagne, en Suisse, en Arménie et en Géorgie.
Au fil des années on a commencé à monter de nouveaux morceaux et à imaginer qu’on ferait un jour un deuxième disque. On a commencé à répéter avec un joueur de doudouk, qui a cependant dû arrêter. Ensuite, il y en a eu quelques autres jusqu’à ce que l’on rencontre Artyom Minasyan, avec qui nous jouons maintenant depuis cinq ans. Artyom est arrivé en France il y a une dizaine d’années et nous étions déjà en contact avec lui, mais ça ne s’est pas fait tout de suite. Quand il a rejoint le groupe, c’était la « pièce manquante » qu’il fallait à l’ensemble pour envisager de refaire un disque.
« NH » – Parlez-nous un peu du choix des chansons et de vos compositions…
D. G. – Aret a composé une chanson qui s’appelle Medz Mayrig qui parle de sa vie : là où il est né, les îles d’Istanbul, comment il est venu en France, etc. Macha a aussi proposé plusieurs compositions.
M. G. – Oui, notamment le titre éponyme, « Guenats Pashas », que j’avais écrit spécialement pour Papiers d’Arménies. Il y a aussi une introduction que l’on joue avec Gerard Carcian qui mène au thème très connu de « Garoï Bar » et qu’on a appelée « Anouch Ella ».
Nous avons aussi intégré une chanson géorgienne, la suite « Tiflis – Mtashi Salamurs Vakvneseb – Parikaoba ». Dans les années 80, Aret jouait souvent avec des ensembles de danse d’Arménie et leur répertoire comprenait pas mal de chansons géorgiennes. C’est un morceau qu’il avait dans son répertoire depuis longtemps. Il y a aussi une chanson grecque. Mon père étant un grand fan de rébétiko, j’en ai beaucoup entendu dans mon enfance, notamment des chansons de Háris Alexíou. C’était l’époque des cassettes qu’on écoutait dans la voiture ! Sa voix, en plus de la voix de mon père, a bercé mon enfance. J’avais envie de reprendre cette chanson qui dit quelque chose de beau :
« Quand une femme boit, il ne faut pas la juger : vous ne savez pas quel drame elle a vécu. »
D. G. – Je n’aime pas jouer une chanson qui ne raconte rien. Si je chante une chanson traditionnelle, il faut qu’elle raconte quelque chose. Après, j’aime bien la changer à ma façon, la jouer plus rapide ou plus lente, en modifiant les arrangements. Je ne copie pas l’original. Et il y a aussi un son « Papiers d’Arménies » qui naît de notre manière de jouer tous les cinq.
« NH » – Parlez-nous de la tournée pour présenter l’album au public…
M. G. – Nous avons joué il y a deux semaines à Jazz sous les pommiers, un grand festival de jazz à Coutances (Manche). Nous avons aussi des concerts de prévu dans le sud, en Allemagne et la saison prochaine en Bretagne. En fait, nous allons là où les programmateurs nous invitent à venir jouer. Et nous espérons bien évidemment venir en Arménie, ça fait un petit bout de temps qu’on en parle. La situation en ce moment est compliquée. L’envie ne manque pas, mais il faut que les planètes soient alignées pour que nous puissions tous être libres en même temps.
Nous avons tourné avec le premier disque pendant presque quinze ans. Il y avait toujours de temps en temps un concert qui nous permettait de nous retrouver. Donc on se dit qu’avec ce nouveau disque, on va peut-être tourner pendant plusieurs années. Et il y a toujours des surprises, comme par exemple la date à Jazz sous les pommiers. C’était une belle récompense d’avoir cinq Arméniens sur scène devant plus de mille personnes.
« NH » – En quinze ans, qu’est-ce qui a changé dans le groupe, dans les relations entre vous ?
D. G. – Les relations n’ont pas changé, elles se sont encore chargées de vie et de guénats !
Et puis, nous avons aussi intégré le piano dans nos compositions. Avant, Macha n’était qu’au chant. Le piano apporte une autre dimension. C’était aussi une condition de Macha pour refaire un autre disque. Donc, nous avons intégré le piano dans tous les morceaux, ce qui a pris un certain temps.
M. G. – Au départ, nous n’avions pas prévu de mettre du piano sur tous les morceaux. Mais comme il était là en studio et que ça fonctionnait bien… Et puis c’était pour moi un challenge plus grand d’être dans mon rôle de pianiste au sein de Papiers d’Arménies et d’amener vraiment ma patte, même si en chantant je prenais déjà du plaisir à jouer avec eux. C’était important pour moi d’être entièrement là, au piano et à la voix.
Propos recueillis par
Achod PAPASIAN