IN MEMORIAM
Suzanna Mildonian, harpiste d’exception
Venise, 2 juillet 1940 – Bruxelles, 7 octobre 2022
La merveilleuse Suzanna Mildonian nous a quittés en ce début d’automne après une vie consacrée à la musique. Née au sein d’une famille rescapée du génocide des Arméniens de 1915, elle voit le jour à Venise où deux oncles membres de la Congrégation des Moines Mekhitaristes de l’Ile Saint Lazare avaient accueilli les siens. Enfant, elle baigne dans un climat de ferveur musicale, entourée d’un frère violoniste et de sœurs, ses aînées, professeurs de piano et de violoncelle, toutes deux diplômées du Conservatoire de Venise. Cet environnement exceptionnel éveille en elle la passion pour l’étude et la pratique de la harpe, un instrument rare d’une esthétique élégante vers lequel se portera son choix , une orientation qui engagera sa vie professionnelle et la mènera sur les chemins d’un brillant parcours d’interprète au plus haut niveau.
Lors de sa formation, ses dons précoces sont rapidement remarqués par Margherita Cicognari, son professeur de harpe au Conservatoire Benedetto Marcello de Venise, qui l’encourage à entreprendre une carrière de concertiste. Ainsi, dès l’âge de quatorze ans, elle se produit sur scène et remporte les premiers prix des concours internationaux les plus prestigieux : Israël en 1959, Genève en 1964, Paris en 1971, ainsi que le Grand Prix du disque en 1972.
Ses débuts ont lieu à Venise avec l’Orchestre de la Fenice. Avec cette même formation, elle a notamment la chance de jouer sous la direction du grand Igor Stravinsky (1882-1971) avant d’être engagée par l’Orchestre Royal de Bruxelles.
Sa fulgurante carrière lui permet de parcourir le monde accompagnée par les meilleurs orchestres symphoniques (Israël, Amsterdam, Turin, Paris, Prague, Rome, Bruxelles, Berlin, Tokyo-NHK, Erevan-RadioTélévision….).
Elle donne également des récitals dans ces mêmes pays auxquels il faut ajouter Etats Unis (New York-Carnegie Hall) , Russie, Allemagne, Irlande, Suède, Suisse, Hollande, Hongrie, Japon…. ). Son immense talent nourri par sa lecture personnelle des œuvres qu’elle interprétait, sa musicalité sensible et profonde doublée d’une maîtrise technique irréprochable ont fait de son jeu aux sonorités filées une référence absolue pour ses élèves, et tout autant saluée par le public et célébrée par la critique.
Parmi ses interprétations virtuoses et ses enregistrements mémorables, il faut signaler le Concertos pour harpe et orchestre d’Alberto Ginastera (1916-1983) et d’Heitor Villa-Lobos (1887-1959) , le Concerto pour deux harpes de François-Joseph Gossec (1734-1829), les Sonates pour flûte et harpe de Mozart avec Jean-Pierre Rampal et Maxence Larrieu, avec qui elle a gravé un très grand nombre d’ albums toujours disponibles.
En transposant pour harpe de nombreuses œuvres dont le célèbre de Bela Bartok (1881-1945), Suzanna Mildonian a enrichi de manière originale et personnelle le répertoire de son instrument élu et elle a dans le même temps révélé des œuvres contemporaines méconnues pour harpe et orchestre dont celle du compositeur italien Ildebrando Pizzetti (1880-1968) ou bien celle du musicien israélien Ami Maayani (1936-2019) composé pour elle.
Son empreinte de professeur a marqué ses étudiants au sein de différents conservatoires nationaux à Bruxelles, Rotterdam , Tilburg ainsi qu’au cours des Master classes qu’elle a dirigés dont la prestigieuse Accademia Musicale Chigiana de Sienne.
En qualifiant cette artiste d’ « étoile, apparaissant rarement au cours d’un siècle », le maître de la harpe, Nicanor Zabaleta a révélé son admiration pour celle qu’il qualifie de « techniquement extraordinaire, une des plus belles du monde de la harpe, à laquelle se joint une exquise musicalité . »
Marguerite Haladjian
18 octobre 2022
Un hommage lui sera rendu lors d’une messe célébrée le dimanche 20 novembre à 11 heures, en la cathédrale Sainte-Croix-des-Arméniens, 13 rue du Perche, Paris 3e. ■
