Le 20 juin, le Premier ministre arménien a témoigné devant la Commission d’enquête de l’Assemblée nationale sur la guerre dite de 44 jours qui éclata en 2020. Tous les acteurs principaux ayant participé à cette guerre, ont été confrontés à cet examen, ou vont l’être bientôt. Le Premier ministre a voulu que la partie de son discours qui ne contenait pas de secrets d’État soit ouverte au public.
Un témoignage important, des détails donnés sur le déroulement de la guerre, des informations sur les négociations avec Poutine et les autres chefs d’Etat du groupe de Minsk, donnent une idée plus claire des multiples facettes souvent obscures de la guerre, ainsi que du rôle que les grandes puissances et surtout la Russie ont joué. Ces dernières se rivalisent encore aujourd’hui pour renforcer leur influence dans le Caucase du Sud. Ils utilisent l’Arménie et l’Artsakh pour se faire la guerre.
Le public, surtout, a soif de connaître la vérité. La défaite a été douloureuse, lourde, et c’est un désir naturel de savoir pourquoi celle-ci est arrivée. De part et d’autre, des accusations de traîtrise ont été portées, des jugements ont été rendus sans procès. Combien de temps encore un État peut-il tenir et se construire face à de telles attitudes ? Quand donc la loi l’emportera-t-elle sur la tyrannie de tel ou tel parti, que ce soit celle du parti au pouvoir, celle du Congrès, celle des républicains ou de la FRA ? Et faut-il chercher des coupables, alors que depuis l’indépendance, depuis plus de trois décennies, toutes les forces politiques ont échoué dans la construction de l’Etat ? Chacun ayant sa part de responsabilité dans cet échec.
Et peut-on connaître véritablement les vraies raisons de la défaite, lorsqu’une discussion multilatérale n’a pas lieu, lorsque les faits et les angles de traitements sont si variés, les interprétations des événements si contradictoires.
La démarche du Premier ministre répond à une nécessité compte tenu du fait que l’accusation de «traître» est constamment jetée à sa face par l’opposition parlementaire. L’audience ouverte au public est pour lui un moyen de se défendre et de justifier sa décision concernant la signature de l’accord de 9 novembre 2020. C’est un pas audacieux par rapport à l’attitude des autres acteurs de haut rang, qui n’ont pas osé exposer publiquement leur action pendant la guerre.
Toutefois, indépendamment des personnalités qui ont régi l’Etat arménien, il existe une similitude d’action au plan de la stratégie suivie dans la construction de l’État chez tous les dirigeants. Le premier trait caractéristique est l’absence de recours aux attaques militaires comme moyen d’action contre l’ennemi. Après la victoire de 1994, tous les gouvernements arméniens se sont abstenus d’utiliser les moyens militaires pour faire pression sur l’Azerbaïdjan afin qu’il signe un traité de paix, contrairement à l’Azerbaïdjan, qui depuis sa victoire en 2020, utilise tous les moyens militaires pour forcer l’Arménie à signer un traité de paix dans des conditions qui lui sont soient favorables.
Deuxièmement, et malgré sa défaite de 1994, l’Azerbaïdjan a toujours eu recours aux opérations militaires frontalières pour rappeler ses ambitions territoriales. Et la partie arménienne a toujours compté sur les grandes puissances pour assurer sa sécurité, la protection de son intégrité territoriale. Même le projet de plan de paix de Levon Ter Petrossian, qui prévoyait la cession des 5 districts à l’Azerbaïdjan contre une sécurité garantie au plan international et un statut pour l’Artsakh se basait sur les puissances internationales, et il n’est jamais sûr que l’Azerbaïdjan aurait respecté ses engagements. Et on ne sait pas si les puissances internationales auraient respecté les leurs si leurs intérêts stratégiques concordaient avec ceux de l’Azerbaïdjan, comme c’est le cas actuellement.
Enfin, on parle constamment de l’échec de la diplomatie arménienne, mais aucune force politique arrivée au pouvoir n’a considéré le développement de l’économie et des forces armées comme le fondement de l’action diplomatique du pays. La politique étrangère était déconnectée des réalités économiques et de la capacité de l’Armée à défendre le pays par ses propres moyens.
J. Tch.