La situation est-elle vraiment irréversible ?

Les jours sont-ils comptés qui nous séparent de la destitution de Karékine II ? Le gouvernement accuse les hauts dignitaires ecclésiastiques de ne pas respecter leur vœu de célibat. Le pouvoir a trouvé le point faible de ces derniers. Jusqu’à récemment encore, les ecclésiastiques se considéraient comme protégés par la constitution et attaquaient sans retenue l’activité politique du pouvoir, rejoignant très souvent les rangs de ceux qui réclamaient la destitution du gouvernement. Et dans le cas de Monseigneur Bagrat Galstanian, initiateur du «Combat sacré», il était lui-même à la tête de la demande de changement de régime par la force.

Pour le pouvoir, Monseigneur Bagrat ayant violé le consensus concernant la séparation de l’Église et de l’État, en principe le Saint-Siège aurait dû l’inciter à abandonner l’état ecclésiastique ou le renvoyer de l’ordre. Il l’a conservé, et c’est seulement sa fonction qui a été gelée, temporairement. Procédure introuvable dans les statuts ecclésiales, donc illégitime. La liste est longue des perturbations provoquées par des ecclésiastiques dans le champ politique depuis la guerre de 44 jours, la plus remarquable étant la demande de démission du Premier ministre par Karékine II, ainsi que la violation du protocole d’État par l’Eglise lors des fêtes nationales, en ne se joignant pas à la cérémonie d’hommage par les hautes autorités de l’État, comme lors des célébrations du 24 avril ou celles de l’Indépendance. Les cas de participation des ecclésiastiques aux manifestations de l’opposition radicale et parfois même leurs prises de paroles, sont innombrables. En dernier lieu, nonobstant l’interdiction posée par le Premier ministre concernant la visite de hautes personnalités arméniennes en Biélorussie, en guise de protestation contre la participation du président Loukachenko aux préparatifs de la guerre des 44 jours, Sa Sainteté s’est rendue à Minsk pour consacrer la nouvelle église locale.

Compte tenu des élections de l’année prochaine et de l’alliance de l’Église apostolique arménienne avec les forces d’opposition, la coupe de la patience a débordé pour le pouvoir et l’heure a sonné. Il n’y a pas de retour en arrière, il faut renverser la hiérarchie de l’Église apostolique. Les positions de l’Église sont très faibles face à la détermination du gouvernement et à l’argumentation légale qu’il a en main.

Mais pourquoi le gouvernement n’a-t-il pas soulevé cette question depuis la Révolution de velours ? Les violations du célibat par les hauts dignitaires ecclésiastiques ne sont pas une nouveauté. Attendait-il l’occasion propice ? L’attaque principale est venue du Premier ministre, qui a écrit sur sa page Facebook : «Le Saint-Siège d’Etchmiadzine doit clarifier  la question selon laquelle Karékine II a violé le vœu de célibat et s’il a des enfants. Cette question doit être clarifiée sans délai.» Et il a ajouté : «S’il s’avère que Karékine II a effectivement violé le vœu de célibat et a des enfants, il ne peut pas être Catholicos de tous les Arméniens, car si les faits sont avérés, il n’aurait pas pu être prêtre célibataire.»

Parmi les critiques les plus virulentes du pouvoir et les partisans de son renversement, Monseigneur Mikaël Ajapahian, est une personnalité qui exprime librement son opinion au sein du clergé arménien. Suite aux attaques du Premier ministre concernant le célibat des ecclésiastiques, il a fait la confession suivante : «Le célibat est le point le plus vulnérable des ecclésiastiques. Que l’un de ces beaux parleurs essaie de vivre un mois sans femme, et surtout au 21e siècle…», confirmant ainsi d’une certaine manière la critique du Premier ministre.

Le Conseil spirituel suprême a publié un communiqué où il recourt à l’autodéfense comme moyen de salut : «Les questions de l’Église se résolvent selon les ordres et canons ecclésiastiques et sont hors de la compétence des acteurs étatiques et politiques.» À quoi  le député du groupe «Contrat civil» Vahagn Aleksanian a répondu par un post sur sa page Facebook : «Et encore une fois, les ecclésiastiques ne semblent pas bien comprendre la situation créée. Messieurs, le temps de vos déclarations, de vos appels et tout le reste, est passé. Enlevez vos soutanes et allez vous occuper de ce que vous voulez. Vous n’avez pas de place pour de hautes fonctions ecclésiastiques et cela est irréversible.»

J. Tch.