L’Arménie à rebrousse-poil

En répondant aux demandes insistantes d’Israël, les États-Unis ont donné un nouvel élan au conflit israélo-iranien, et les bombardiers B-2 américains ont attaqué trois installations iraniennes d’enrichissement d’uranium. À rebrousse-poil, le Premier ministre arménien Nikol Pashinyan a saisi l’occasion pour se rendre à Istanbul, dans le but de servir la cause de la paix dans la région, de normaliser les relations arméno-turques bloquées depuis 1993, d’ouvrir les frontières bilatérales, d’établir des relations diplomatiques, de devenir un carrefour économique est-ouest et nord-sud, et de renforcer les positions géopolitiques de l’Arménie.

Depuis l’indépendance, c’est peut-être la troisième tentative pour établir des relations de bon voisinage avec la Turquie, les deux premières – sous Levon Ter-Petrossian et Serge Sarkissian – ayant échoué. La première, c’est la rupture unilatérale par la Turquie des liens et la fermeture des frontières suite aux succès arméniens lors de la guerre d’Artsakh. La seconde concernait les protocoles de Zurich de 2009, qui furent signés en présence des ministres des Affaires étrangères des grandes puissances internationales, mais ne furent pas appliqués en raison de la forte opposition de l’Azerbaïdjan. Et jusqu’à aujourd’hui, malgré la fin du conflit d’Artsakh, et même la perte de l’Artsakh, les frontières turques restent fermées, la principale raison étant l’exigence de la part de l’Azerbaïdjan du corridor de Syunik sous le contrôle des gardes-frontières russes, à laquelle s’opposent le gouvernement arménien, l’Iran et la France.

En 2022, la troisième tentative de rapprochement arméno-turc a commencé principalement sous l’impulsion des États-Unis, pour qui l’établissement de communications Turquie-Asie centrale conduirait à la réduction de l’influence russe dans le Caucase du Sud. Le passage routier de Syunik, sous la souveraineté arménienne, reliant l’Azerbaïdjan au Nakhitchevan, se heurte au refus de l’Azerbaïdjan et de la Russie. Cette dernière perdrait l’important levier politique de servir de médiateur entre l’Arménie et l’Azerbaïdjan.

En Arménie, le front d’opposition pro-russe, s’opposant au rapprochement du gouvernement Pashinyan avec la Turquie ainsi qu’à la stratégie de conclusion d’un traité de paix avec l’Azerbaïdjan, et cherchant le renversement du régime, soutient l’option de soumettre le corridor de Syunik au contrôle russe, c’est-à-dire de renoncer à la souveraineté sur cette partie du territoire arménien.

Le conflit israélo-iranien affecte directement les rapports de force du Caucase du Sud. Pour l’instant, l’issue de la guerre n’a pas changé ce rapport, Israël n’ayant pas réussi à atteindre ses principaux objectifs militaires dans son attaque contre l’Iran, à savoir : renverser le pouvoir de Khamenei et le remplacer par un gouvernement pro-israélien, détruire les usines de production de missiles et d’armement, et celles d’enrichissement de l’uranium, aucun danger de radiation nucléaire n’ayant été annoncé après le bombardement des installations nucléaires. 

Contrairement aux attentes d’Israël, dont l’objectif était d’entraîner les États-Unis dans une guerre à grande échelle contre l’Iran, le déroulement des événements d’hostilité entre les États-Unis et l’Iran a montré une coopération, sous forme d’avertissements mutuels, aussi invraisemblable qu’elle puisse paraître. La partie iranienne aurait été informée à l’avance par les Américains de l’imminence de l’attaque, ce qui aurait permis à l’Iran de placer la masse de l’uranium enrichi en un lieu sûr. Tout comme la partie iranienne aurait averti l’armée américaine des bombardements des bases militaires américaines en représailles. Et le président Trump, pour la première fois, a sévèrement critiqué Israël pour avoir violé le cessez-le-feu obtenu sous sa médiation.

Il est encore trop tôt pour prédire l’issue de la guerre. Cependant, la résistance de l’Iran et les lourds dommages infligés à Israël par ses missiles de fabrication locale auront de lourdes conséquences sur les prétentions d’Israël à agir sans respecter les lois internationales et humanitaires. La stabilité de l’Iran renforce l’indépendance de l’Arménie, un facteur essentiel pour résister aux revendications territoriales de l’Azerbaïdjan, allié stratégique d’Israël.

J. Tch.