Le 22 mai, lors de la conférence de presse du Premier ministre de la République d’Arménie Nikol Pachinian, la reconnaissance de la superficie de l’Azerbaïdjan de 86 600 km2, qui de facto inclut les territoires de la République d’Artsakh, a provoqué de violentes réactions. Tout d’abord, l’Assemblée nationale de la République d’Artsakh a convoqué une session extraordinaire pour débattre du sujet. Elle a adopté à l’unanimité une déclaration, dans laquelle il est notamment souligné que Nikol Pachinian viole gravement les dispositions de la Déclaration d’indépendance et la Constitution de la République d’Arménie au sujet de l’Artsakh. Elle appelle tous les Arméniens à ne pas permettre aux autorités actuelles de la République d’Arménie de céder une partie de la patrie arménienne, la République d’Artsakh et les territoires souverains de la République d’Arménie à l’Azerbaïdjan, ce qui entraînera inévitablement la perte de l’État arménien. Dans le même temps, elle appelle les anciens et actuels présidents d’Arménie et d’Artsakh à condamner la politique de Nikol Pachinian. Dans le cas contraire, le silence sera considéré comme un signe d’accord avec le Premier ministre de la République d’Arménie.
Robert Kotcharian, le deuxième président de la République d’Arménie, a réagi de manière virulente à l’appel de l’Assemblée nationale d’Artsakh : «… Ne rejetez pas la responsabilité des malades sur les bien-portants. Et bien sûr, ce n’est pas vous qui pouvez juger de la valeur de mon patriotisme. Mes approches n’ont pas changé : nous devons nous battre pour la Patrie, et non faire semblant de nous battre. » Serge Sarkissian, Arkadi Ghoukassian et Bako Sahakian ont également répondu. Les anciens présidents de l’Artsakh ont noté que « personne n’a le droit moral de décider de notre avenir et de celui de nos enfants. … Nous sommes convaincus qu’aujourd’hui, comme les années précédentes, tous les Arméniens se tiendront aux côtés du peuple d’Artsakh. » L’ancien ministre d’État et homme d’affaires, Ruben Vardanian, s’est fermement opposé à Pachinian, affirmant que l’Artsakh poursuivra sa lutte. La FRA Dachnaktsoutiun, composante de l’opposition parlementaire d’Arménie, a annoncé qu’elle se préparait à entamer une nouvelle phase de la lutte contre la politique du Premier ministre.
En France, le Cercle d’amitié France-Artsakh a annoncé qu’il soutenait un Artsakh libre et indépendant et accueille avec consternation les déclarations du Premier ministre d’Arménie du 22 mai… Jean-Christophe Buisson, le rédacteur-adjoint de « Figaro magazine »,
ardent défenseur de la Cause d’Artsakh, a répliqué en disant que la position du gouvernement arménien plonge tout les arménophiles dans un océan de désarroi. Il a aussi posté quatre photos d’Aliev dans un tweet où ce dernier déclare que « Maintenant que la question d’Artsakh est résolue, la question suivante inscrite à notre ordre du jour sera de retourner à l’Azerbaïdjan occidental, l’Arménie actuelle qui est notre pays ».
Le Congrès national arménien du Président Levon Ter-Petrossian est aussi critique au sujet des initiatives politiques de Pachinian, bien que les partis d’opposition admettent le Premier ministre comme un adepte du premier présent de la République. Le Conseil Suprême du Saint-Siège et le Catholicos de la Grande maison de Cilicie expriment également leur soutien à la lutte des Arméniens d’Artsakh.
Naturellement, l’appel à la solidarité et la volonté des Arméniens d’Artsakh de se battre pour l’autodétermination et la souveraineté sont encourageants et doivent être soutenus de toutes les manières possibles. Même s’ils vont à l’encontre des positions politiques du gouvernement arménien. Et c’est peut-être la bonne manière de s’émanciper de la tutelle de l’élite politique arménienne : agir en tant que république indépendante et exiger l’autodétermination dans le cadre du droit international. Dès les premiers instants de l’indépendance de l’Arménie, lorsque le principe de deux républiques indépendantes a été adopté, pour des raisons encore inconnues, la responsabilité politique de l’indépendance de l’Artsakh a été confiée à l’Arménie, au lieu qu’elle soit assumée par les dirigeants de l’Artsakh.
En observant ce vaste mouvement d’appel patriotique pour l’Artsakh, une interrogation surgit : quelle valeur a le patriotisme, alors que la capacité de défense de l’armée arménienne n’a pas encore été restaurée ? Pourquoi s’opposer au gouvernement arménien, quand on sait que les concessions sont faites sous la contrainte de la communauté internationale et des superpuissances, et qu’elles ne sont pas dictées par l’Azerbaïdjan, comme l’opposition veut bien nous faire croire. Autrement, la communauté internationale disposait d’un large éventail d’outils pour juger l’Azerbaïdjan dans le cadre du droit international, mais elle n’est pas disposée à le faire.
Et enfin, ces réactions contre le gouvernement arménien ne sont-elles pas initiées par l’allié stratégique de l’Arménie, la Russie, qui pour camoufler son incapacité de défendre l’Artsakh, veut bien imputer son irresponsabilité sur le gouvernement arménien, l’accusant de le céder à l’Azerbaïdjan ? Tout comme à la fin de la guerre de 2020, lorsque Poutine avait ouvertement déclaré que l’Artsakh faisait partie de l’Azerbaïdjan et avait assumé le devoir de le protéger. Le front pro-russe actuel espère toujours qu’il parviendra à réaliser un changement de pouvoir, à supprimer l’influence des États occidentaux définitivement de l’Arménie et de la région, afin de renforcer les positions russes.
J. Tch.