Vahram Atanessian
1in.am, le 4 juin 2025
Lorsque nous évoquons la crise actuelle qui oppose l’Église et l’État, nous devons d’abord clarifier le point suivant: la cause de cette situation complexe est-elle de nature personnelle ou institutionnelle ? Est-elle basée sur l’animosité personnelle et mutuelle qui existe entre le Premier ministre de la République d’Arménie Nikol Pachinian et Sa Sainteté Karékine II, Catholicos de tous les Arméniens ? Avec une grande modération, le journaliste et analyste politique Tatoul Hakobian écrit sur son compte Facebook qu’il existe au bas mot « un véritable obstacle institutionnel et insurmontable de fond ».
Force est de reconnaitre que dans le tohu-bohu observé ces derniers jours dans les milieux de l’information et de la propagande, cette question ne se distingue pas seulement par l’exceptionnelle pauvreté des discours et leur laisser-aller stylistique, mais également, et surtout, par la profondeur et la pertinence des débats. Bien entendu, des réponses diamétralement opposées et d’exclusion réciproque y sont parfois apportées ; ce qui est tout à fait naturel. Je pense que les causes de ce « problème » ne sont pas personnelles, mais institutionnelles.
La Sainte Église apostolique arménienne est une structure religieuse singulière au sein du monde chrétien, sans lien de subordination avec l’Église catholique ou l’Église orthodoxe, et qui considère et présente ce statut comme le fondement de l’identité arménienne, indépendamment de la personnalité du patriarche de l’Église apostolique arménienne.
Aujourd’hui, l’Arménie ne peut pas en tant qu’État indépendant, au regard de la situation actuelle, accorder ce statut à l’Église apostolique arménienne, ou tolérer qu’elle s’attribue un tel statut. La lourde défaite de la « Deuxième guerre du Karabakh » oblige l’Arménie à reconsidérer non seulement sa politique étrangère et de sécurité, mais également sa conception de l’identité nationale. Il s’agit d’une nécessité objective, quel que soit le Premier ministre arménien, ou le parti qu’il représente.
Deux possibilités s’offrent à nous pour mettre fin à cette situation. Soit la Constitution consacre le statut de la Sainte Église apostolique arménienne en tant qu’institution d’État, et celle-ci reçoit le droit légitime de s’engager en politique et d’être représentée dans tous les organes gouvernementaux, soit le Saint-Siège d’Etchmiadzine devient un État souverain, à l’image du Vatican.
Aucun autre arrangement ne pourra résoudre le « problème » des relations entre l’État et l’Église. Nous aurons beau affirmer qu’en vertu de la Constitution et de la Loi l’Église n’a pas le droit de s’engager en politique, les messages du Catholicos de tous les Arméniens, délivrés à l’occasion du Nouvel An ou de la liturgie de Noël, seront, par essence, perçus comme politiques. Il en ainsi dans le monde entier.
Le Catholicos de tous les Arméniens est l’un des représentants institutionnels du peuple arménien. Aujourd’hui, la majorité de ses fidèles ne sont pas citoyens de la République d’Arménie et ils lient leur identité à leur appartenance à la Sainte Église apostolique arménienne, qu’il s’agisse du Catholicossat d’Etchmiadzine ou de celui d’Antélias. Le peuple arménien est un « organisme » complexe. Non seulement l’Arménie ne peut pas le gouverner dans son intégralité, mais elle ne devrait même pas imaginer de nourrir une telle ambition.
De fait, la « Deuxième guerre du Karabakh » a délégitimé au niveau international le récit de cette « Trinité » unissant l’Arménie, l’Artsakh et la Diaspora », ou plus précisément, elle a provoqué la destruction de la « matrice » d’une « nation arménienne mondiale ».
« L’Arménie politique », ou « Arménie réelle », admet cette réalité objective, mais « l’Arménie spirituelle » ne la reconnaît pas. Le problème fondamental réside dans le discours selon lequel, sous la direction de l’Église, il serait possible d’assurer l’unité nationale et de « stopper le déclin de l’identité arménienne ».
Dans ce contexte, tout le reste est secondaire.
Il est objectivement avéré que dans l’Arménie actuelle, aucune force politique ni alliance ne peut constituer une « plateforme pour la renaissance nationale ». L’Église, ou plutôt sa hiérarchie, a cette prétention en tentant de générer une « attente » présumée de la société visant à un changement de gouvernement en s’appuyant sur une « masse critique » à convoquer.
Dans le même temps, l’Église n’assume formellement aucune responsabilité, ni dans ce processus, ni dans ses conséquences potentielles. C’est là le danger de la situation actuelle.
Mais l’Église est-elle prête à endosser ouvertement une quelconque responsabilité quant à l’avenir de l’Arménie ?
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