L’historien négationniste du Génocide des Arméniens Pierre Nora est mort le lundi 2 juin à Paris.
Parmi ses multiples déclarations niant le génocide des Arméniens, on se souviendra particulièrement de la comparaison qu’il avait établie entre écraser trois mouches et le massacre d’un million et demi d’Arméniens.
Voici ce qu’il déclarait sur France Inter, le 12 octobre 2011 :
“Aujourd’hui le mot génocide est totalement codé, il est politisé, il est instrumentalisé et il n’a plus beaucoup de signification réelle. SI VOUS ECRASEZ TROIS MOUCHES VOUS PARLEZ AUSSI D’UN GENOCIDE. Il n’y a pas de définition. La seule définition du génocide est celle qu’a donné Nuremberg. Encore une fois punir de crime contre l’humanité des gens qui sont encore là et les poursuivre jusqu’à ce qu’ils soient morts, c’était ça la définition du crime contre l’humanité. Mais si vous donnez la définition du crime contre l’humanité sur des gens qui sont morts et dont les auteurs sont morts, hé bien ce sont les historiens que vous poursuivez.”
Sans commentaire…
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(Par Patrick Devedjian, alors député et président du conseil général des Hauts-de-Seine. Publié dans le journal Le Monde le 30 décembre 2011)
Dans Le Monde du 28 décembre, Pierre Nora a publié une tribune intitulée “Lois mémorielles : pour en finir avec ce sport législatif purement français”. Décidément, l’Histoire est trop importante pour en laisser le monopole aux historiens. Même le titre de la tribune est totalement faux. Ce “sport législatif” n’est pas “purement français”. Plus de trente pays ont reconnu le génocide des Arméniens, reconnaissance qualifiée de “loi mémorielle”, qui serait interdite au législateur.
Apprécions la subtilité et la délicatesse du raisonnement de Pierre Nora, qui écrit : “Pour la Shoah, en effet, la responsabilité de la France vichyste est engagée, alors que, dans le cas de l’Arménie, la France n’y est pour rien.” Ainsi notre pays ne pourrait condamner que les crimes dans lesquels il est “engagé” ! Mais c’est, en outre, bien mal connaître l’histoire qu’on prétend défendre que d’affirmer que la France n’est pas engagée dans les événements de la première guerre mondiale où elle et la Turquie s’affrontaient militairement. Voici quelques faits qui mériteraient de longs commentaires : le prétexte à l’extermination des Arméniens était leur francophilie issue de leur éducation reçue dans les institutions religieuses françaises.
Le 24 mai 1915, la France et ses alliés notifient à la Turquie que les auteurs des crimes contre l’humanité commis seront jugés à la fin de la guerre : engagement non tenu ; en 1916, à la suite des accords Sykes-Picot, la France occupe une partie de la Turquie orientale, recueille des populations arméniennes en fuite, lève parmi elles une légion arménienne, puis replie ses troupes et abandonne les réfugiés à leur sort.
En 1920, la France signe le traité de Sèvres qui institue une Arménie indépendante et prévoit la poursuite des criminels de guerre : il restera lettre morte. En 1923, à la suite de la victoire de Mustapha Kemal, la France signe le traité de Lausanne qui prévoit la protection des minorités de Turquie par les Alliés : disposition jamais mise en oeuvre…
M. Nora écrit : “La décision française ne peut qu’exacerber le nationalisme turc et bloquer toute forme d’avancée vers la reconnaissance du passé.” Dois-je en conclure qu’il faut s’incliner devant le nationalisme turc, y compris quand il s’exerce sur le territoire français à l’encontre d’une partie de ses citoyens ? Dois-je considérer que, depuis près de cent ans, il faut attendre encore ?
– Aucune garantie d’objectivité
A propos d’une commission d’historiens, M. Nora écrit : “Les Arméniens avaient refusé au nom de leurs certitudes…”, en fait, c’est le refus supposé du gouvernement de l’Arménie qu’il évoque. Les citoyens français d’origine arménienne doivent-ils attendre la défense de leurs droits du gouvernement de l’Arménie ?
Quant aux “certitudes des Arméniens”, elles sont issues des témoignages innombrables et de la transmission familiale, des milliers de documents officiels établis par des pays étrangers pendant la guerre, de la reconnaissance par l’Allemagne alliée de la Turquie et elle-même impliquée dans le génocide, de la reconnaissance des éléments constitutifs par le gouvernement légal de la Turquie et de ses juridictions en 1919…
Force est de constater qu’en France, à l’exception remarquable d’Yves Ternon, le sujet n’a pas beaucoup intéressé les historiens, en dépit de tous ces matériaux historiques.
Les historiens ont naturellement le droit de contester toute vision officielle de l’Histoire, c’est même leur devoir, mais ils n’offrent pour autant aucune garantie d’objectivité : ainsi il a fallu attendre François Furet pour avoir une histoire de la Révolution française sans présupposés partisans.
La vision qu’un peuple a de son Histoire a sa légitimité, car elle est souvent l’assise de son projet politique : en France, pour la droite comme pour la gauche, aujourd’hui le projet constant est celui des droits de l’homme.
Mais le procès que M. Nora fait au texte de loi est malvenu : ce qui peut être poursuivi, c’est seulement le négationnisme exprimé “de façon outrancière”. Les historiens sérieux n’ont donc rien à redouter de la loi, quelles que soient leurs analyses.
Ce qui est visé, c’est principalement le négationnisme d’Etat, celui d’un Etat étranger qui déverse et organise sur le territoire français une propagande qui vise notamment une catégorie de ses citoyens. Car le négationnisme ravive les souffrances du génocide, il en est le stade ultime.
Mais puisque M. Nora est un militant de la liberté pour l’histoire, qu’il me soit permis de lui signaler le cas de Taner Akçam, historien turc poursuivi par son gouvernement pour avoir écrit un livre sur le génocide arménien à partir de documents turcs qui étaient inconnus : le livre s’intitule Un acte honteux (Denoël, 2008)…
Patrick Devedjian,
député UMP et président du conseil général des Hauts-de-Seine, ancien ministre
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