Moscou-Bakou : tension ou « prélude » à un plus grand jeu  ?

Gültekin Hadjibeyli, ancienne députée du Milli Medjlis (Parlement azerbaïdjanais)

Ces derniers jours ont été marqués par une escalade fulgurante des tensions entre la Russie et l’Azerbaïdjan, dont les relations se dégradaient déjà depuis plusieurs mois. Cette détérioration était déjà perceptible, comme l’illustre notamment la fermeture par décret gouvernemental de la “Maison de Russie” à Bakou.

Actuellement, les deux parties ont déclenché une vague d’arrestations mutuelles qui témoigne de la gravité de la crise diplomatique en cours.

Une spirale d’accusations d’espionnage

Cette escalade récente dans les relations entre les deux pays semble (nous soulignons avec insistance : semble) avoir été déclenchée par l’arrestation en Russie de citoyens azerbaïdjanais, accusés de mener des activités d’espionnage en faveur de l’Ukraine.

En réponse à ces arrestations, Bakou a procédé à l’arrestation de plusieurs ressortissants russes, également accusés d’espionnage. Il convient de noter que le côté azerbaïdjanais – dans un style qui nous est malheureusement familier – a diffusé avec une grande fierté sur les médias et les réseaux sociaux des images humiliantes des Russes arrêtés.

Des arrestations de journalistes qui aggravent la crise

Parmi les personnes arrêtées figurent des personnalités importantes du paysage médiatique russe en Azerbaïdjan : Igor Kartavykh, directeur de “Sputnik Azerbaïdjan”, et Yevgeny Belousov, rédacteur en chef, tous deux condamnés par un tribunal de Bakou à 4 mois d’emprisonnement.

La réaction diplomatique russe

Face à ces arrestations, le ministère russe des Affaires étrangères a présenté une protestation officielle à l’ambassadeur d’Azerbaïdjan, dénonçant “les mesures hostiles de Bakou visant à détériorer les relations avec Moscou et l’ingérence dans les affaires intérieures de la Russie”.

Des mesures de rétorsion russes

Moscou, ne se contentant pas de cette protestation, a naturellement opté pour des mesures de rétorsion. À Voronej, l’homme d’affaires azerbaïdjanais Yusif Khalilov, propriétaire du “Marché d’Alekseev”, a été arrêté. À Ekaterinbourg, les autorités ont également procédé à l’arrestation de Shikhlinskiy, leader de la diaspora azerbaïdjanaise et propriétaire de “Bakou Plaza”, ainsi que de son fils.

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Ces développements récents illustrent une détérioration significative des relations russo-azerbaïdjanaises, avec des implications potentielles importantes pour l’équilibre géopolitique régional. L’analyse de Vahram Atanessian, journaliste-analyste du média arménien 1in.am, connu pour ses articles perspicaces sur ces questions, apporte un éclairage précieux sur cette crise.

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Moscou-Bakou : tension ou « prélude » à un plus grand jeu  ?

Par Vahram Atanessian

1in.am, Erevan le 30 juin 2025

Considérant les tensions russo-azerbaïdjanaises qui sont récemment apparues, Gültekin Hadjibeyli, une ancienne députée du Milli Medjlis[1], a publié un long article à ce sujet sur son compte Facebook. Elle y exprime clairement la conviction selon laquelle l’Azerbaïdjan doit se tenir prêt à l’éventualité de l’expulsion de trois millions d’Azerbaïdjanais par la Russie, mais ne doit pas céder ne serait-ce une seule once de sa souveraineté en échange de la « loyauté » de ce pays dans la question du Karabakh. Ancien opposant politique au gouvernement d’Ilham Aliev, elle lui conseille de devenir un « nouveau Ismet Inönü ». Ce dernier avait été, rappelons-le, le deuxième président de la République turque durant la Seconde Guerre mondiale et les années qui ont suivi. C’est durant sa présidence que la Turquie a intégré l’O.T.A.N. et avait limité ses liens commerciaux, économiques et politiques avec l’U.R.S.S. Hadjibeyli exhorte Ilham Aliev à « reprendre le dialogue politique avec l’Union européenne ». Elle est quasiment convaincue que dans la situation actuelle, l’Union européenne « se contenterait d’une libération des prisonniers politiques détenus en Azerbaïdjan et de libéralisation de la vie politique ».

L’arrestation de deux employés de « Sputnik Azerbaïdjan » à Bakou le 30 juin, tous deux accusés d’être des « agents du Service fédéral de sécurité russe », a été qualifiée par Moscou de « mesure inamicale ». Dans le même temps, il semblerait que des Azerbaïdjanais arrêtés et détenus à Ekaterinbourg soient soupçonnés d’espionnage pour le compte des services spéciaux d’un autre pays, au détriment de la Russie.

Qui a déclenché ces tensions russo-azerbaïdjanaises ? Gültekin Hadjibeyli est convaincue que par ce moyen, la Russie « tente de tenir l’Azerbaïdjan d’une main de fer afin de restaurer l’U.R.S.S. ». En filigrane, derrière cette accusation, on peut penser que les services spéciaux ukrainiens auraient peut-être eu recours aux services de la « diaspora » azerbaïdjanaise pour créer leur réseau d’agents en Russie.

Dans tous les cas, la question cruciale est de savoir quel sera le choix d’Ilham Aliev.

Va-t-il s’engager dans un « divorce » périlleux avec la Russie ?   Va-t-il défendre la souveraineté de l’Azerbaïdjan avec le soutien de la Turquie, de l’Union européenne et des États-Unis ?

Ou bien va-t-il conclure un nouvel accord avec Vladimir Poutine afin de préserver le pouvoir de sa dynastie ?

L’Azerbaïdjan est un pays sous contrôle. Il est impossible d’évaluer, même approximativement, les sentiments de sa population. Aliev est-il prêt à renoncer à sa propagande anti-arménienne et à sa rhétorique belliqueuse envers l’Arménie ?

Son gouvernement repose sur ces fondements idéologiques et politiques. Toute démarche menant vers la démocratisation, la paix et la coopération régionale présente donc pour lui un risque de perdre le pouvoir.

Cette situation constitue également un défi pour l’Arménie. Les tensions russo-azerbaïdjanaises, si elles n’entraînent pas le rappel de l’ambassadeur d’Azerbaïdjan à Moscou, pourraient être le prélude à un « grand jeu » de nature géopolitique. Suite à la fameuse déclaration de l’ambassadeur iranien à Erevan[2], « Caliber.az », un média affilié au ministère azerbaïdjanais de la Défense, a déclaré que le leader de la révolution islamique Ali Khamenei était « le principal ennemi de l’Azerbaïdjan ». 

Aliev n’est ni assez insensé, ni assez aventuriste, pour intensifier simultanément ses relations avec Moscou et Téhéran. Il pourrait jouer le rôle d’un Ismet Inönü, mais finalement se comporter comme un Mustafa Kemal.

Selon toutes les apparences, il est dans l’attente d’instructions du président turc.

Gültekin Hadjibeyli considère pour sa part que l’autre possibilité pour surmonter la dépendance de Bakou envers Moscou serait la signature rapide d’un traité de paix avec l’Arménie.

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[1] Le parlement azerbaïdjanais. Avocate âgée de 52 ans, Gültekin Hadjibeyli a été députée du Milli Majlis lors des 2e et 3e mandatures. Elle a également  été membre de la coordination du « Conseil national des forces démocratiques ».

[2] Ce dernier a déclaré que l’Azerbaïdjan aurait servi de base-arrière pour les israéliens lors de leurs attaques contre l’Iran. Interrogés par des journalistes arméniens, il avait également déclaré que l’Iran avait signé que « formellement » la déclaration finale du récent sommet islamique réuni en Turquie. Dans ce texte voté par tous les pays d’Asie centrale, membres des alliances économique et militaire dépendant de la Russie et auxquelles appartient l’Arménie, il était demandé à l’Arménie de prendre les mesures pour permettre le « retour sur leurs terres des personnes déplacées » (Azéris originaires d’Arménie).