La cérémonie de commémoration parisienne du 24 avril, organisée par le CCAF, s’est tenue, comme à l’accoutumée ces dernières années, devant la statue de Komitas, dans le « Jardin d’Erevan » situé au cœur du 8e arrondissement de la capitale. Cette année, l’État français était représenté au plus haut niveau par le Premier ministre, François Bayrou, aux côtés de hauts responsables gouvernementaux et de représentants de la communauté arménienne.
Après le dépôt de gerbes, se sont succédés à la tribune les coprésidents du CCAF, Mourad Papazian et Ara Toranian, suivis par la maire de Paris, Anne Hidalgo, et enfin le Premier ministre, François Bayrou, qui a déclaré dans son discours :
« Je saluais Madame la ministre chargée du Travail et de l’Emploi, Astrid PANOSYAN.
Monsieur le Premier ministre, cher Gabriel ATTAL,
Monsieur l’ambassadeur d’Arménie en France,
Mesdames et Messieurs les parlementaires,
Monsieur le préfet de Paris et d’Île-de-France,
Madame la maire de Paris,
Mesdames et Messieurs les élus,
Messieurs les co-présidents du Conseil de coordination des organisations arméniennes de France,
et je veux saluer les milliers de personnes qui sont avec nous, qui nous ont rejoints autour de la statue du Père Komitas, parce qu’ils portent en eux une part de l’identité arménienne, du souvenir des 110 années passées et des siècles d’avenir qui s’ouvrent devant cette identité arménienne.
J’espère que tous pourrons entendre les vers de ce si grand poète qu’est Parouir SÉVAK, dans le poème qu’il a consacré à Komitas, honoré sur ce monument, une des plus belles statues, un des plus beaux bronzes que nous puissions admirer, comme le symbole de l’âme arménienne. “Soudain, dit-il, soudain, les méandres de l’exil mortel, le sentier des pleurs, deviennent un chemin de rassemblement. L’envol de la chute devient un élan.” De la chute à l’élan en passant par les pleurs, c’est toute l’histoire du peuple arménien depuis la tentative de génocide dont il a été victime en 1915 que le poète résume. Tout avait été fait pour anéantir votre peuple avec tous ses espoirs. Dans la nuit du 23 au 24 avril 1915, à Constantinople comme dans d’autres grandes villes, la fleur de l’Arménie, ses représentants les plus cultivés, les figures de la société, des poètes, des médecins, des religieux comme Komitas, sont arrêtés, torturés et pour la plupart assassinés. Ce crime s’inscrit dans une longue lignée.
Pour ne remonter que de quelques années, il y a eu, vous l’avez rappelé, Monsieur le coprésident, 1894-1909, chaque fois des Arméniens massacrés par un pouvoir de plus en plus hostile à leur identité. Il y a eu encore plus près dans le temps, des conscrits arméniens sortis des rangs de l’armée dans laquelle ils combattaient pour être farouchement exécutés. Mais c’est bien sûr, chacun d’entre vous le sait, avec le dimanche rouge, celui du 24 avril 1915, que la machine génocidaire commence sa marche méthodique. De toutes les villes, de tous les villages arméniens, sortent des fils d’hommes, de femmes et d’enfants chassés de leurs terroirs millénaires. Parce que le parti au pouvoir, qui se cachait derrière le masque du progrès, impose sa conception ethnique et religieuse de l’unité imposée, la plupart des hommes sont rapidement menés à l’écart et ne reviendront plus. Leurs femmes et leurs enfants entament cette marche, de l’aube au crépuscule, vers les déserts de Syrie et de Mésopotamie. Ceux qui échappent aux ravins de la mort et aux coups de l’organisation spéciale continuent, titubant jusqu’au camp de concentration où les attendent la faim, la soif et la maladie. Au total, entre avril 1915 et juillet 1916, un million et demi de personnes rejoignent la destination que leur avait assigné un télégramme venu de la capitale, et ainsi rédigé, ils doivent aller vers le néant.
Mais le peuple arménien n’est pas anéanti. Si j’ose dire, le peuple arménien, ne peut pas être anéanti, il n’est pas anéantissable. Certains ont été prévenus, quelquefois à temps par un fonctionnaire plus humain et désobéissant. D’autres ont été recueillis par un kurde ou un Yézidi qui n’ont pas toléré le massacre. D’autres encore ont trouvé en eux-mêmes dans la vitalité millénaire de leur peuple les ressources pour ne pas s’effondrer. Au nom des morts, au nom de l’Arménie, au nom de la vie, les survivants vont de l’avant.
Des dizaines de milliers d’entre eux qui arrivent en France se rassemblent bientôt autour d’un journal dont le titre dit tout « Haratch ! ». En avant, ils s’installent, travaillent, s’intègrent. Ils apportent un concours décisif à la résistance, comme Missak et Mélinée MANOUCHIAN, dont les dépouilles reposent désormais au Panthéon. Leurs enfants n’oublient rien des mélodies de leur patrie, mais les apportent à leur pays d’accueil, comme Michel LEGRAND et Charles AZNAVOUR. Les Arméniens, en demeurant eux-mêmes, permettent à la France d’être davantage elle-même. Mais pour aller de l’avant – chacun d’entre vous qui m’ont précédé l’ont répété à cette tribune – pour aller de l’avant, il faut connaître et honorer le passé. Il faut, selon les mots de l’historienne Claire MOURADIAN, offrir une sépulture aux morts, obtenir la reconnaissance du génocide, l’enseigner à chaque génération, lutter contre le révisionnisme et les discours de haine. Dans ce combat, l’Arménie aura toujours la France à ses côtés.
Pour aller de l’avant, il faut aussi que l’Arménie soit en paix et en sécurité. La France continuera à agir en faveur d’une paix juste et durable dans le Sud-Caucase, dans le plein respect de l’intégrité territoriale et de l’indépendance des États. Elle salue l’annonce de l’aboutissement des négociations sur le traité de paix annoncé entre l’Arménie et l’Azerbaïdjan. Plus rien ne devrait s’opposer à sa signature et à sa ratification. Nous voudrions former le vœu qu’elle puisse intervenir dans les meilleurs délais et que la situation des prisonniers et des détenus trouve une issue favorable, bien que nous ayons entendu parfaitement les réserves et les regrets que vous avez exprimés à cette tribune. Anatole FRANCE disait que l’Arménie était pour la France sa sœur d’Orient, dans sa lutte pour son indépendance, son intégrité territoriale et sa sécurité, car elle sait que c’est un combat pour la paix.
C’est pourquoi nous nous félicitons et nous nous engageons à servir de toutes les manières le renforcement de la coopération entre nos deux pays dans des secteurs stratégiques pour l’Arménie comme en matière de défense. À l’heure où dans le monde les ambitions impérialistes se sont réveillées, à l’heure où les tensions identitaires se ravivent et se renforcent, à l’heure où la sécurité et la diversité du monde paisible, n’ont plus rien d’une évidence, la France et l’Arménie unissent leurs efforts et leurs voies pour appeler au respect du droit international et des droits de l’Homme. J’ai cité tout à l’heure ce recueil qui s’appelle Le Clocher, qui sans cesse résonne de Parouir SÉVAK ; ce clocher, tous les 24 avril, sonne pour nous le glas en mémoire du premier génocide de l’Histoire, mais il sonne aussi le tocsin du combat pour la liberté et la justice auxquels nos deux pays, ensemble, répondront toujours présents. »
À la fin de la cérémonie, la traditionnelle marche a débuté avec la participation d՛une foule nombreuse. Les manifestants portaient des drapeaux arméniens, des pancartes contenant des appels à soutenir la Cause arménienne, à libérer les prisonniers arméniens arbitrairement détenus à Bakou, ainsi que des inscriptions revendicatives. Pendant la marche, les drapeaux de l’Azerbaïdjan et de la Turquie ont été brûlés. ■
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