PATRIMOINE – La bibliothèque de l’Armenian Institute de Londres – Une petite visite chez nos compatriotes de Grande-Bretagne

La diaspora arménienne revêt des formes multiples à travers le monde et leurs acteurs peuvent faire preuve d’une grande créativité pour exister, se développer et se transformer au contact de leur société d’accueil et face aux aléas de l’histoire. L’Armenian Institute offre un bel exemple de vitalité et d’inventivité à travers, notamment sa bibliothèque. Gagik Stepan-Sarkissian en est la cheville ouvrière. Il nous a chaleureusement accueillis dans ses locaux et nous a fait part de son expérience et de ses aspirations. 

Gagik Stepan-Sarkissian 

L’Armenian Institute est une organisation à but non lucratif. Elle a été créée en 2011 par un groupe d’amis. L’anthropologue Susan Pattie est la co-fondatrice du projet. Leur mission est mentionnée en exergue dans leurs différentes publications.  Elle peut être traduite comme ceci :

« Nous nous engageons à faire de la culture et de l’histoire arméniennes une expérience vivante à travers des programmes innovants, des ressources pédagogiques, des ateliers, des conférences, des expositions et des performances. Nous œuvrons à rendre le riche héritage arménien pertinent pour la vie actuelle de la diaspora et construire des ponts avec toutes personnes en Grande-Bretagne et au-delà. » (1) 

L’AI a été créé pour rassembler les Arméniens ne pratiquant pas la langue mais aussi pour s’ouvrir à l’ensemble du monde anglo-saxon.  Dans cette optique les conférences et les manifestations se déroulent toujours en anglais. Notons que les événements organisés par l’AI attirent des jeunes mais également des non Arméniens. 

Outre la générosité des donateurs et des mécènes, l’organisation a bénéficié à deux reprises d’une importante subvention d’État ce qui lui a donné les moyens de mettre en place son projet. Elle peut ainsi employer plusieurs salariés à temps partiel auxquels viennent s’ajouter de nombreux bénévoles. Dans un premier temps l’Institut est hébergé au sous-sol de l’église apostolique Saint Sarkis (2). Le local devenant trop exigüe, l’AI bénéficie désormais d’un appartement mis gracieusement à sa disposition par un Arménien qui possède tout un immeuble. Le bâtiment est situé à Saffron Hill, dans Camden l’un des arrondissements centraux de la capitale.

Le site internet, mis en place grâce aux compétences d’un webmaster, constitue l’un des points forts de l’AI. Son contenu est très riche, bien structuré et est très bien référencé sur le net. Gagik constate 

que le confinement a eu pour effet d’augmenter la fréquentation des événements en ligne. Il est à noter que le site propose une traduction automatique de l’anglais au français de qualité. Les personnes non anglophones peuvent, à l’exception des podcasts, appréhender l’étendue des réalisations de l’Institut et découvrir quelques trésors de la bibliothèque (3). 

La bibliothèque

L’Armenian Institute library est la seule bibliothèque du Royaume-Uni entièrement dédiée au monde arménien. Elle est gérée sous la houlette de Gagik Stepan-Sarkissian avec l’aide de bénévoles enthousiastes. Gagik est un biochimiste à la retraite, originaire de Tabriz. Il a intégré toutes les techniques et méthodes relatives à la bibliothéconomie. Ses compétences linguistiques (arménien, persan, français, anglais, turc azéri) sont un atout supplémentaire pour son travail. Parallèlement à cela, il assure les cours d’arménien oriental dispensés par l’AI. 

Bien qu’accessible à tous, la bibliothèque est essentiellement fréquentée par des chercheurs et des étudiants. Elle conserve près de 9000 ouvrages auxquels s’ajoutent plusieurs fonds d’archives. Elle est principalement constituée de dons. Le noyau de la collection, soit 4000 livres, provient de la bibliothèque du professeur Charles Dowsett qui fut le premier détenteur de la chaire d’arménien à l’Université d’Oxford.  Elle comprend des publications savantes et rares en arménien, géorgien, turc ottoman, anglais, français…. Il est à noter que 40 % des donateurs sont non arméniens.  Parmi ceux-ci nous pouvons mentionner l’historien bien connu Christopher J. Walker, l’arméno-britannique Joan George qui a étudié l’histoire des communautés de Manchester et de Londres ou encore David Miller, le premier ambassadeur résident britannique en Arménie en 1995-1997 et grand défenseur de la cause arménienne qui a fait don de ses papiers personnels. 

Quatre autres fonds émanent des acteurs de la diaspora. Les fonds Mischa et Elena Kudian. Mischa Kudian est un dentiste qui a consacré sa vie à traduire en anglais et publier des œuvres phares telles que David de Sassoun et le Livre des Lamentations de Grégoire de Narek. Elena, son épouse est une pianiste célèbre en son temps. Récemment la famille Koundakhian a fait don des archives du photojournaliste américain Harry Koundakjian. Il a notamment couvert la guerre du Liban et les événements du 11 septembre. Enfin, l’AI conserve la collection de la communauté arménienne de Londres :
brochures, notes d’événements culturels et autres documents relatifs aux activités de la communauté arménienne de Londres depuis 1970.

Elena Kudian

Répondant à des contraintes d’espace et à un souci de rigueur, l’équipe de la bibliothèque veille à ne conserver que les ouvrages se rapportant strictement au domaine arménien et aux pays avoisinants. Parmi les thèmes représentés il n’est guère étonnant que l’histoire occupe une place prépondérante, suivi de la littérature et la linguistique. Dans une moindre mesure s’ajoutent tout ce qui touche à la vie quotidienne : cuisine, contes et légendes…

Attentif à inscrire l’Armenian Institute library dans Worldcat.org, le réseau mondial des bibliothèques qui fédère en ligne les catalogues de plus de 15 000 établissements localisés dans 107 pays, l’équipe s’attache à suivre des normes de catalogage internationales. Worldcat.org offre la possibilité de localiser des ouvrages rares et parfois uniques.  Le chercheur a d’ores et déjà la possibilité de retrouver une partie des ressources de la bibliothèque de l’AI dans cette grande base de données. 

Parallèlement à cela la quasi-totalité des ouvrages est cataloguée dans une base interne à l’AI avec la perspective de la rendre accessible à court terme sur son propre site. L’équipe pratique un catalogage enrichi. Le catalogage enrichi est une description très fine de l’ouvrage pouvant comprendre l’ajout de contenus tels que biographies, table de matières, résumé, page de couverture etc., à savoir toutes informations susceptibles d’intéresser les chercheurs.

D’autres chantiers sont en cours comme affiner le classement physique des ouvrages sur les rayons conformément aux normes de classement établies par la bibliothèque du Congrès de Washington.

Les fonds d’archives nécessitent quant à eux, une gestion particulière, relevant d’un autre métier.  Un fonds peut se composer de documents manuscrits, de coupures de presse, de photographies, de documents sonores, d’éphémères (4)… accumulés au fil du temps par son possesseur, il nécessite d’être organisé, trié, classé, conditionné de façon pérenne pour être décrit dans une base appropriée et éventuellement numérisé. Une archiviste qualifiée a, durant deux ans bien avancé sur le traitement de ces dons.  Celle-ci étant partie vers d’autres horizons, l’AI souhaite recruter un autre spécialiste.  La grande difficulté, comme l’explique Gagik, est de trouver un professionnel ayant une bonne connaissance de l’arménien pour déchiffrer les écritures manuscrites.

 

Quelques trésors de la bibliothèque

Gagik présente régulièrement les trésors de l’AI sous forme de podcasts intitulés « Book on display ». L’internaute peut découvrir des textes, des documents et aussi des auteurs et des personnalités souvent méconnus ou oubliés (5). En voici deux, entre autres, que nous avons aimés :

 

Zabelle Boyajian, Armenian legends and poems (1916). 

Une anthologie de légendes et poèmes d’Arménie compilée et merveilleusement illustrée par l’auteur. L’ouvrage est accompagné d’un texte d’Aram Raffi, l’un des fils de l’écrivain et d’une introduction par James Bryce (6). L’Ai possède l’édition originale. Ecrivaine, illustratrice et traductrice, Zabelle Boyajian (1872-1957) est la fille du vice-consul britannique de l’Empire ottoman, Thomas Boyajian et de Catherine Rogers, une descendante du poète anglais Samuel Rogers.  Après le meurtre de son père en 1895, Zabelle s’installe à Londres avec sa mère et son frère. Elle a beaucoup œuvré en son temps pour faire connaître la culture et la cause arménienne à la société britannique.

Zabelle Boyajian, illustration pour Armenian legends and poems.

Oliver Baldwin, Six prisons and two revolutions: adventures in Trans-Caucasia and Anatolia, 1920-1921 (1924). 

Invité en Arménie par Alexandre Khatissian, le premier ministre de la Première République, O. Baldwin se porte volontaire pour servir dans l’armée en 1920-1921. Il est un témoin oculaire des bouleversements que traverse le pays. Contrairement à son père le ministre conservateur Stanley Baldwin, l’auteur est un socialiste engagé.

Perspectives

Gagik envisage l’avenir de la bibliothèque comme un centre de recherche incontournable pour les études arméniennes à l’instar de ce que l’on peut trouver par exemple en France avec la bibliothèque Noubar. Elle deviendrait un centre communautaire et un point de rassemblement pour les futures générations.  Nous le voyons l’Armenian Institute se donne tous les moyens pour parvenir à un rayonnement international.  Ayant constitué le noyau d’une collection savante, l’organisation établit progressivement les bases d’une coopération à travers la diaspora et l’Arménie. En outre, on peut penser que le soin apporté à la conservation et à la valorisation des collections incitera d’éventuels donateurs à léguer leurs collections.

Béatrice KRIKORIAN 

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(1) Traduction d’après google.

(2) Situé dans le quartier de Kensington, Saint Sarkis est le siège du diocèse du Royaume-Uni de l’Eglise apostolique arménienne. Elle a été construite en 1922-1923 sous l’égide de Calouste Gulbenkian. Son architecte Arthur Davis s’est inspiré du clocher du monastère de Haghpat.

(3) Consultable sur : https://www.armenianinstitute.org.uk/

(4) Les éphémères sont des documents imprimés informatifs destinés à être jeté après usage tels qu’affiches, tracs, billets d’entrées, cartes postales…

(5) La page d’accueil du site présente également une exposition virtuelle sur les
« trésors du patrimoine culturel de l’AI ».

(6) Pour rappel James Bryce a réuni et présenté avec l’aide d’Arnold Toynbee Le Livre bleu du gouvernement britannique concernant le traitement des Arméniens dans l’Empire ottoman : 1915-1916.