Que révèle le dossier de négociations sur l’Artsakh ?

 

L’analyse du gouvernement et la réaction de l’opposition

Le site officiel du gouvernement arménien a publié une analyse détaillée concernant les 13 documents relatifs au processus de négociation du conflit de l’Artsakh, qui ont été rendus publics le 2 décembre.

Selon cette analyse, le dossier publié démontre qu’il existait en Arménie depuis des décennies des mythes, façonnés par l’élite politique issue du Mouvement Karabakh pour justifier son pouvoir. Ces mythes étaient devenus une forme de pensée, et toute opinion contraire était considérée comme une trahison.

L’analyse souligne que le conflit de l’Artsakh était un problème international et que la perception internationale a été diamétralement opposée aux conceptions de la partie arménienne. Les négociations n’ont jamais porté sur l’indépendance de l’Artsakh ou son rattachement à l’Arménie. Le sujet principal a toujours été la restitution des 7 régions à l’Azerbaïdjan, tandis que le statut de l’Artsakh devait être déterminé exclusivement dans le cadre de l’intégrité territoriale de l’Azerbaïdjan. Le sommet de Lisbonne en 1996 a clairement défini une « autonomie au sein de l’Azerbaïdjan ».

Le gouvernement note également que la présence simultanée sur la table des négociations du principe de l’intégrité territoriale et du droit à l’autodétermination signifiait qu’aucun statut ne pouvait être déterminé sans le consentement de l’Azerbaïdjan. L’idée annoncée d’un référendum était formulée de telle sorte que l’Azerbaïdjan avait des raisons de prétendre que tous les citoyens azerbaïdjanais devaient y participer, et non seulement les habitants de l’Artsakh.

Selon le Gouvernement, le document le plus remarquable parmi ceux publiés est la lettre de Serge Sarkissian à Vladimir Poutine (en date du 5 août 2016), dans laquelle il évalue la situation. Sarkissian y note que la probabilité d’une reprise de la guerre est élevée, que l’équilibre des armements est rompu et que l’Azerbaïdjan ne prend aucun engagement sur la question du statut. La lettre montre que Sarkissian avait compris qu’il se trouvait dans une impasse et que la guerre était inévitable.

En conclusion, l’analyse du gouvernement déduit que les accusations de
« cession de terres » portées contre Nikol Pachinian après 2018 par le groupe de Serge Sarkissian visaient à dissimuler le fait que la guerre et son issue étaient prévisibles dès l’époque de leur propre pouvoir. Le processus de négociation avait de facto atteint le point de départ de 1991, privant de légitimité même le référendum d’indépendance de l’Artsakh.

L’opposition a réagi immédiatement après la publication des documents

La publication du dossier de négociations sur l’Artsakh a déclenché une vive polémique politique entre le pouvoir et l’opposition. Dès la publication, les opposants ont commencé à réagir.

Parmi les documents publiés figure la proposition de juin 2019 des coprésidents du Groupe de Minsk, qui est devenue un sujet constant d’accusations mutuelles entre les représentants du pouvoir actuel et des trois anciens pouvoirs.

Le vice-président du Congrès National Arménien (CNA), Levon Zourabian, faisant allusion au document de 2019 susmentionné, a déclaré que leurs affirmations étaient confirmées : si le document publié avait été accepté, il y aurait eu la paix, le déblocage et un Artsakh de facto indépendant. Le partisan de l’ancien président Levon Ter-Petrossian soulève cependant à nouveau la nécessité de publier la réponse officielle d’Erevan à cette proposition, laquelle ne figure pas dans les documents publiés.

« Il y a deux explications possibles : 1) Pachinian cache la réponse officielle de l’Arménie, ce qui aggrave encore notre accusation, 2) Il n’y a pas eu de réponse officielle, ce qui révèle une réalité encore plus effrayante, à savoir que Pachinian a tout simplement ignoré la proposition du Groupe de Minsk, rejetant de fait les négociations et ouvrant la porte à une guerre dévastatrice », a noté Zourabian.

Tandis que Pachinian, qui a reconnu en 2022 l’Artsakh au sein de l’Azerbaïdjan, affirmait que depuis 1994 le processus de négociation portait sur le retour du Haut-Karabakh au sein de l’Azerbaïdjan, les anciens présidents et leurs alliés qualifiaient la dernière proposition des coprésidents de 2019 de positive et acceptable, soutenant qu’il était possible de conserver l’Artsakh. Et ils expliquaient sa non-publication par le fait que Pachinian dissimulait ses échecs.

Le vice-président du Parti Républicain d’Arménie (HHK), dirigé par le troisième président Serge Sarkissian, Armen Ashotian, a qualifié en direct à la télévision l’affirmation du pouvoir de mensonge, et la proposition de 2019 de bonne.

« Avec la publication du dossier concernant les négociations de l’Artsakh, Nikol Pachinian a scellé l’un de ses plus grands fiascos politiques, et ce que nous savions tous depuis longtemps s’est accompli : il a définitivement marqué sur son front le sceau déshonorant de celui qui a livré l’Artsakh. « La possibilité de la réalisation du droit à l’autodétermination du peuple du Haut-Karabakh était fixée »… il est évident que c’est Nikol qui a écrit cela. Donc, immédiatement après la publication de ces papiers, un article est mis sur le site où Nikol ment ;
que dit-il ? Il dit : sommet de Lisbonne, année 1996. Quel rapport y a-t-il entre la résolution du sommet de Lisbonne de 1996 et l’héritage laissé par Serge en 2018 et le document proposé en 2019 ? Aucun rapport. C’est un document d’une étape révolue. Le document de 1996 qu’il cite n’a intéressé personne, n’a intéressé ni le Groupe de Minsk ni personne, car il n’y a aucune référence à l’l’OSCE dans aucune proposition du sommet de Lisbonne de 1996 »,
a déclaré Ashotian.

Alors que les opposants se concentrent sur la proposition de 2019, les représentants du pouvoir citent des extraits du plan d’échange de Meghri et de l’Artsakh de 1999, commentant que dans le dos du peuple, le pouvoir de Kotcharian négociait la cession de Meghri et son peuplement par des Azéris.

Bagrat Mikoyan, chef du bureau du deuxième président Robert Kotcharian, a réagi à cela en déclarant qu’il n’y avait rien de nouveau dans les documents, et que le plus choquant pour lui était que l’article du journal « Haykakan Zhamanak » concernant un document jamais négocié ait été publié sous l’appellation de document (faisant allusion aux allégations d’échange de Meghri contre l’Artsakh). Il a également noté que le document de Key West, négocié par Kotcharian, est absent de la liste publiée.

Selon Mikoyan, en rejetant la proposition de 2019 du Groupe de Minsk, Pachinian a provoqué la guerre.

Notons que cette publication des documents de négociation suit immédiatement la dissolution officielle et définitive du Groupe de Minsk, qui s’est occupé du règlement du conflit de l’Artsakh pendant plus de trois décennies. ■

Éditorial