Après trois ans de négociations, durant lesquelles le brouillon du traité de paix a fait douze allers-retours entre Erevan et Bakou, la partie arménienne a accepté la dernière mouture de Bakou, qui comprenait deux exigences majeures : l’annulation des recours devant les tribunaux internationaux, ainsi que le retrait des frontières des forces des pays tiers. Pourquoi le gouvernement arménien a-t-il accepté ces demandes ? N’y a-t-il pas encore de réponses claires ? Sous la pression ou le conseil de quelle grande puissance, ou selon quels calculs stratégiques et sécuritaires le gouvernement a-t-il pris une telle décision ?

Les derniers développements politiques internationaux permettent de faire certaines suppositions. La politique de Trump envers l’Ukraine a brisé l’unité et la puissance du front occidental, qui ces derniers temps était un allié déterminant de l’Arménie. Naturellement, le déclin de l’Occident a renforcé les positions russes. De même pour la Turquie – l’Europe a besoin de son armée dans sa lutte pour soutenir l’Ukraine. La Russie et la Turquie sont de puissants alliés de l’Azerbaïdjan. Ce dernier bénéficie également du soutien d’Israël. L’affaiblissement de l’Europe et le renforcement du trio Russie-Turquie-Azerbaïdjan constituent un prémisse créant de sérieux défis sécuritaires futurs pour l’Arménie.

Partant de cette situation, on comprend également pourquoi Pachinian a répondu favorablement à l’invitation de Poutine pour les célébrations de la Victoire du 9 mai.

L’accord de paix Arménie-Azerbaïdjan reste verbal, Bakou a fait savoir qu’il n’est pas disposé à préciser le moment et le lieu de sa signature. Tant qu’il n’est pas signé, son contenu n’est pas sujet à publication. Et le lieu de la signature a une importance significative, il marquera le parrainage de la grande puissance. Dans des conditions internationales instables, sa signature à Moscou lors des célébrations du 9 mai est hautement probable. Une signature en Europe serait inacceptable pour les Azéris, tout comme la Turquie l’est pour l’Arménie. L’Iran étant problématique. Il reste la Russie, en tant que grande puissance ayant des relations étroites, dans le passé, avec les deux pays ou le Kazakhstan.

Dans la configuration actuelle, l’influence de la Russie sera renforcée dans le Caucase. Ce qui comporte des risques certains pour l’Arménie sur le plan économique et politique. Comme la Géorgie, l’Arménie se trouve dans l’obligation de revoir ses calculs, et elle examine sérieusement les conséquences du retour de la Russie victorieuse sur la scène internationale.

L’Occident était la seule puissance qui exigeait d’Aliev et de la Turquie de faire des concessions pour conclure un pacte avec l’Arménie. Avec l’affaiblissement de celui-ci, le soutien des alliés traditionnels de l’Azerbaïdjan le rend naturellement plus arrogant. Malgré l’accord de l’Arménie sur ses dernières exigences, l’Azerbaïdjan refuse de signer le traité, continue d’insister sur la modification de la constitution arménienne, continue de juger les prisonniers de guerre, ne prend pas de mesures pour quitter les territoires occupés, et refuse d’effectuer la délimitation des frontières.

Mais en fin de compte, même si Aliev signait l’accord, il faut se demander quelle valeur aura-t-il aujourd’hui, à l’heure où le monde vit à l’époque du déni des pactes écrits et signés, et ce, à commencer par les États-Unis eux-mêmes. Dans ces conditions, quelle valeur a l’accord de paix Arménie-Azerbaïdjan non encore signé ? Il n’a pas de valeur, mais même superficielle, cette démarche sert à ne pas couper le fil des négociations. Car l’absence de négociations augmente le risque de guerre. Et l’Arménie a besoin de temps pour s’armer, renforcer les positions frontalières, réorganiser l’armée…

Toutes les grandes puissances, sans exception, et les pays de la région, ont félicité l’accord conclu entre l’Arménie et l’Azerbaïdjan. Comme toujours, seul le front d’opposition intérieure arménienne et certains analystes sont consternés. Et s’ils étaient à la tête du pouvoir, auraient-ils eu une autre issue ?

J. Tch. ■