« L’Arménie dans tous ses débats », c’était le thème d’une conférence à la Paris Business School, le 9 décembre 2025. Un titre certes prometteur pour des étudiants, mais des échanges bâclés, car orientés.
Présentée comme une occasion de découvrir « l’Arménie réelle », la conférence, organisée dans un écrin académique et attractif, laissait espérer un panorama équilibré : histoire récente, enjeux géopolitiques, situation intérieure, rôle de la diaspora. Sur le papier, les thèmes sont excitants. Hélas, la réalité fut tout autre : le moment central de la soirée a été consacré à une critique systématique du pouvoir en place à Erevan, portée par des avocats et acteurs très clairement situés dans une partie du champ communautaire arménien en perte de vitesse.
Rappelons d’abord le contexte immédiat. L’Arménie est au cœur d’une lutte d’influence : l’Occident contre la Russie, avec la Turquie et l’Azerbaïdjan comme acteurs régionaux. Depuis 2020, l’image de la Russie en Arménie s’est dégradée en raison de la trahison de Moscou lors de la guerre du Karabakh en 2020 et 2023. Les élections législatives prévues le 7 juin 2026 seront un test décisif pour la démocratie et la souveraineté de la jeune République, mais aussi pour son orientation vers l’UE. A ce propos, 2025 a été une année remarquée par un processus de désescalade, de désenclavement et d’ouverture de l’Arménie qui semble avoir porté ses fruits, comme en atteste le désir de coopération renforcée témoignée à l’Arménie par la Chine, l’Inde, le Kazakhstan et l’Allemagne.
Soulignons ensuite le contexte historique. Voilà plus de trois siècles que les Arméniens intégrés dans l’Empire russe, soviétique ou post-soviétique sont considérés comme de simples vassaux, sujets d’une colonie de seconde zone dont les populations ont été entraînées dans les multiples guerres russo-turques dans lesquelles elles ont perdu leur libre-arbitre, leurs ressources humaines par millions, leurs terres et leur chance d’émancipation dans le cadre d’un Etat souverain arménien prospère. Trois siècles plus tard, la Russie de Poutine, dotée d’un régime désireux de rattraper le temps perdu, entend casser la dynamique en place à Erevan depuis les élections légitimes et transparentes de 2021 et la révolution de velours trois ans auparavant, en 2018.
Enfin parlons du contexte communautaire. Etant donné les circonstances mentionnées précédemment, une question évidente saute à l’esprit : pourquoi les représentants de la communauté arménienne de France ne font-ils pas preuve de plus de retenue et de responsabilité dans leurs prises de paroles sachant que l’entrisme des uns et les manipulations extérieures des autres sont illégitimes et dangereuses ? Pourquoi Mourad Papazian, coprésident du CCAF et membre du Bureau Mondial de la FRA a-t-il appelé à « faire tomber Nikol Pachinian par tous les moyens », réveillant ainsi le spectre de l’attentat terroriste du 27 octobre 1999 ? Pourquoi participer à la campagne de désinformation orchestrée par Moscou, alors que depuis avril 2025, pas moins de 18 fausses affirmations (fake news) directement liées au Kremlin ont été diffusées dans près de 13 883 publications diverses sur les réseaux sociaux et des sites web, cumulant environ 45 millions de vues.
Rappelons encore qu’il n’est pas certain du tout qu’il incombe aux représentants de la communauté arménienne de France de jeter de l’huile sur le feu, de jouer aux apprentis sorciers, de se faire le relais d’une propagande étrangère contraire aux intérêts de l’Arménie. Qu’il incombe aux seuls représentants de l’État et de l’Eglise d’Arménie ainsi qu’à sa population de régler les problèmes intérieurs et de définir le cap du développement de la République.
Robert AYDABIRIAN
Paris, le 15 décembre 2025 ■