RÉACTIONS – Respect du droit d’expression et de la liberté de la presse

 

Un journaliste de CivilNet agressé à Stepanakert

Par Marc DAVO

La semaine dernière, je suivais attentivement une émission de Radio-France intitulée « Comment protéger les journalistes … » suite à l’affaire concernant un journaliste, objet de pression et de menace dans l’exercice de sa profession. Il avait fait des révélations sur le trafic de bois précieux dans un pays africain. Soudain, un flash d’information sur CivilNet m’a désagréablement surpris. J’ai voulu connaître davantage de détails sur cet incident qui semble provoquer l’émoi chez certains journalistes arméniens, notamment chez les confrères de CivilNet.

Le journaliste Hayk Ghazarian a été agressé à Stepanakert

En effet,  le regrettable incident s’est produit à Stepanakert dans lequel a été mêlé un jeune journaliste, Hayk Ghazarian, correspondant de CivilNet au Haut-Karabakh. Les policiers de Stepanakert l’ont interpelé lorsqu’il était en train de préparer un reportage  sur la manifestation organisée par un groupe d’avocats devant le palais de Justice de Stepanakert. D’après les indications, un policier lui a arraché son téléphone portable et effacé les scènes enregistrées. Par la suite, le journaliste a été convoqué  au Service de Sécurité nationale et admonesté par le chef de ce service qui est le frère du chef de la Police. Se promenant en centre-ville, il a fait l’objet d’une tentative d’enlèvement  par des personnes habillées en civil. Les coups et blessures qu’il a reçus ont été montrés par CivilNet.  

Interrogé, un sérieux analyste de la vie politique du Haut-Karabakh, Tigran Grigorian a rappelé que l’ombudsman du Haut-Karabakh a réagi, mais à l’heure où il parlait aucune instance journalistique du pays  n’y a fait écho. Il a révélé que le journaliste tabassé avait nommément reconnu ses agresseurs, membres des services du ministre de l’Intérieur du Haut-Karabakh, Karen Sarkissian (NB: ne pas confondre avec le sociologue Karen Sarkissian), fils de Gregory Sarkissov, ex-chef des services de sécurité d’Arménie, proche de Robert Kotcharian.  

On se souvient que des pressions et tentatives de menaces de ce genre ont bien eu lieu auparavant. Un chef combattant, proche de la FRA-Dashnaktsoutiun du Haut-Karabakh, dénommé Pavel (dit fédaï Pavlik), avait osé critiquer les militaires de haut rang de Stepanakert. Il les avait qualifié de « personnages mollassons » (en argile) . En dépit de son prestige dû à ses faits d’armes, il avait été saisi et traîné dans le bureau de Seyran Ohanian, alors ministre de la Défense du Haut-Karabakh et actuel chef du groupe d’opposition « Hayastan » au parlement d’Erevan, pour recevoir « des corrections ». Ce type de traitement et de rappel à l’ordre semblent être une tradition, digne de la mafia, chez certains groupes dirigeants « formatés à la soviétique ».     

De tels comportements sont non seulement condamnables, mais une faute, pour paraphraser Talleyrand. Tigran Grigorian fait une analyse politique très intéressante à cet égard. Il estime que cette manière d’agir envers les citoyens et de surcroit un jeune journaliste est non seulement contraire aux principes des droits fondamentaux auxquels les pays occidentaux attachent du prix, mais aussi très préjudiciable à l’image que le Haut-Karabakh voudrait projeter de ses institutions, en opposition à la gouvernance anti-démocratique qui prévaut en Azerbaïdjan.  Agissant ainsi, l’argument de Stepanakert soulignant l’impossibilité pour ses citoyens épris des pratiques respectueuses des droits de l’Homme, de s’intégrer dans un pays à régime répressif qu’est l’Azerbaïdjan d’Ilham Aliev, est totalement contredit. 

En conséquence, ces agents qui ont sans doute agi sur ordre doivent être punis, dit l’analyste. Si le président Araïk Haroutunian qui en a été informé, ne prend pas de mesures disciplinaires adéquates, cela signifie soit, qu’il n’a pas de prise sur son administration, soit qu’il couvre ces agents et leur responsable.

Alors que le gouvernement de Stepanakert s’emploie ces temps-ci à mobiliser la population assiégée du Haut-Karabakh en vue de faire pression sur le commandement du contingent russe et peut-être Moscou, il lui faut montrer son attachement au respect de la loi et à la Justice. Curieusement, la presse annonce l’arrestation de Vitaly Balassanian, ancien Secrétaire du Conseil de sécurité nationale, pour détournement de fonds, … Le blogger/journaliste Romain Baghdassarian qualifie cette
action de « mise en scène théâtrale » (sic), pour faire croire qu’il se soucie de la Justice. Il estime que le Général Balassanian n’a rien pu faire sans la complicité des membres du gouvernement pour « voler 800M de drams du budget de l’État » (sic). Il s’inter-
roge : « Pourquoi cette arrestation maintenant et l’annonce de 74M de drams de vol seulement? ». 

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Quoi qu’il en soit, dans des circonstances difficiles actuelles, alors qu’il est crucial de former un front uni contre l’ennemi azéri appuyé par le Kremlin et Ankara, comment croire à la sincérité du pouvoir à Stepanakert lorsqu’il  présente cette arrestation comme une volonté de justice et de bonne gouvernance ou que les agents de l’État maltraitent un journaliste qui ne faisait qu’humblement son travail ? 

Il n’est pas étonnant, tout compte fait, que les dirigeants successifs du Haut-Karabakh ont négligé à dessein la question démographique, essentielle pour la survie du pays, pour ne pas partager le revenu national avec une population en augmentation. Les plans de repeuplement annoncés à cor et à cri n’ont donné que des résultats médiocres. Peu de gens sont venus s’installer en Artsakh. En fait, les sommes d’argent qui devaient servir au repeuplement ont fini, en grande partie, dans les poches des personnes véreuses. Et pourtant, le Fonds Hayastan nous assurait que l’argent envoyé par la diaspora a été entièrement servi au bénéfice du peuple. On doit  se rappeler de la  sage parole de David Babayan, ancien ministre des Affaires étrangères, « si la population du Haut Karabakh était de 500 000 habitants, le monde aurait-il pu rester silencieux » face au drame qui frappe les Artsakhiotes ?

Éditorial