La présignature de l’accord de paix en présence du président Trump a relégué au second plan l’attention publique portée aux tensions entre le Saint-Siège et l’État arménien. Cependant, en parallèle, les procédures judiciaires contre les archevêques Galstanian et Ajapahian ainsi que contre Samuel Karapetian, bienfaiteur du Saint-Siège, se sont poursuivies et les détentions préventives ont été prolongées. Le Saint-Siège a réagi vivement aux verdicts concernant Ajapahian et Karapetian, sans que cela n’alerte l’opinion publique.
Mais plus les élections de 2026 approchent, plus les procédures judiciaires contre les hauts dignitaires ecclésiastiques et le bienfaiteur du Saint-Siège sont au centre des débats publics, ainsi que la demande du Premier ministre concernant l’élection d’un nouveau Catholicos.
Le Saint-Siège tente de présenter la crise qu’il traverse comme une crise avec l’État qui se mêlerait de ce qui ne le regarde pas. Le chef du gouvernement a mis à profit le procès des deux archevêques qui avaient lancé des appels publics en faveur d’un coup d’État, en demandant un changement à la tête de l’Église apostolique qui sert les intérêts du camp des anciens présidents Sarkissian et Kotcharian et des forces pro-russes. La conduite débridée des dignitaires de l’Église milite en faveur de l’exigence du Premier ministre Pachinyan et fragilise la position du Catholicos au sein de la société arménienne.
La crise que traverse l’Église apostolique arménienne a de multiples facettes, et le moyen le plus simple que le Saint-Siège ait trouvé pour y échapper a consisté à jouer les victimes, à dénoncer la politique pacifiste du gouvernement et à dénoncer la persécution de ses archevêques. À cet égard, le communiqué diffusé par Sa Sainteté annonce déjà la teneur de sa contre-attaque : « Par la décision de prolonger la détention de Son Excellence l’archevêque Michel Ajapahian et du bienfaiteur national Samuel Karapetian, le tribunal a une fois de plus foulé aux pieds la justice, rendant encore une fois clairement évidente la dépendance totale des tribunaux envers le pouvoir politique dirigeant.
Par de telles décisions infondées, la justice se résume à exercer une fonction punitive, tandis que les tribunaux se transforment en instrument de répression de la liberté d’expression et de la libre pratique de la religion.
Une telle manière d’agir est caractéristique des systèmes totalitaires et n’a aucun rapport avec les valeurs démocratiques propagées par les autorités. »
Il est regrettable que les élections présidentielles arméniennes de 1998 à 2018, marquées par la fraude électorale, n’aient pas mérité une telle évaluation de la part du clergé.
Il faut aussi rappeler la « Médaille d’honneur » reçue par Sa Sainteté du président de Russie en janvier 2023 pour sa « grande contribution au développement des liens culturels et humanitaires entre la Russie et l’Arménie ». Cette récompense du président de la Russie « démocratique » n’a suscité aucune opposition de la part de Sa Sainteté, surtout à un moment où l’Artsakh était encerclé par les Azéris et où, à cause de l’inaction des forces d’interposition russes – pour ne pas dire leur collaboration avec les Azéris -, cette situation devait conduire neuf mois plus tard au nettoyage ethnique de l’Artsakh et à l’arrestation et l’emprisonnement de ses dirigeants.
Quant à l’affirmation selon laquelle « les tribunaux se transforment en instrument de répression de la liberté d’expression et de l’exercice de la religion », le communiqué du Saint-Siège qui a été librement publié et le fait qu’il soit possible de critiquer les décisions des tribunaux prouvent exactement le contraire de ce qu’affirme le communiqué. Concernant la répression de la liberté religieuse, il faudrait interroger les dirigeants des diverses sectes établies en Arménie qui, contrairement au statut privilégié accordé à l’Église apostolique arménienne par la Constitution, prospèrent et se développent en attirant de plus en plus de fidèles.
Bien qu’il faille reconnaître que le langage parfois utilisé par le Premier ministre Pachinian dans ses messages contre les ecclésiastiques soit inapproprié pour un dirigeant du pays, de son côté, le contenu du communiqué diffusé par le Saint-Siège est indigne d’une autorité spirituelle qui remet en cause l’autorité de l’État, du gouvernement élu démocratiquement ainsi que celle de l’institution judiciaire, alors qu’elle devrait agir pour son renforcement, le salut et le bien-être de son peuple.
J. Tch. ■
© 2025 Tous droits réservés