Retour en enfance

Par Ani PRTOIAN-GHAZARIAN

Du bus, on aperçoit des maisons en bois clairsemées avec des toits rouges et pointus, des fenêtres de différentes largeurs, un petit escalier et un chemin serpentant à travers l’herbe jusqu’à la porte. On ne prête même pas attention aux balcons modernes en bois ou aux routes goudronnées quand on voit les bouquets de fleurs bigarrées soigneusement entretenus. Tout cela ressemble à un tableau, à un dessin, parachevé par quelques sommets montagneux, des morceaux de nuages dans le ciel bleu et deux lignes noires reliées qui, assurément, dans ce tableau, représentent des oiseaux dans le ciel.
Qui n’a pas dessiné ce genre de maison et de paysage dans son enfance, la maison de ses rêves, au cœur de la nature ? Une maison construite en pleine nature par l’homme, qui lui-même fait partie de la nature. Suis-je la seule à me souvenir de la maison que j’ai dessinée dans mon enfance ? Pourquoi m’en suis-je souvenu ? Y a-t-il un lien entre mon enfance et ma venue ici ? Peut-être…
La nuit, une rivière gargouille, et le jour, à chaque instant, on entend partout le ruissellement de l’eau qui éclabousse les rochers, mais aussi le sifflement du vent, le chant des oiseaux, à peine audible mais bel et bien là, qui est à parfaitement sa place dans cette nature pittoresque.
Le nom du lieu ou le lieu lui-même n’a pas d’importance. L’essentiel, c’est l’éveil des sentiments, qui peut se produire n’importe où.
Le bus s’arrête enfin dans un lieu où toutes les conditions sont réunies pour l’échange entre des personnes qui sont nées et ont grandi dans différents pays, qui ont été élevées avec des coutumes et des habitudes différentes. L’essentiel est de créer une langue qui serve de fil conducteur et d’utiliser une langue de communication commune à tous : l’arménien occidental. Un travail immense et harmonieux qui n’est jamais vraiment perceptible, mais toujours là.
Plus d’une centaine d’enfants, d’adolescents, d’adultes et de personnes plus âgées originaires de différents pays – de Bolis, des États-Unis, du Canada, d’Argentine, de Grèce, de France, du Liban, d’Arménie et bien d’autres – sont réunies pour participer à ce camp d’été dans un décor bucolique qui rappelle l’enfance. Oui, l’enfance. Le désir de redevenir un enfant, lorsque tout se met à grandir, à germer petit à petit, son par son, mot par mot… Et la parole commence à se développer avec les sons de l’enfant, à devenir une langue, la sienne. L’enfant se construit par ses propres efforts, sans interventions extérieures, porté avec un désir très fort qui l’anime et veut ne faire plus qu’un avec l’environnement.
Au début, il déforment les sons, comme s’il voulait inconsciemment les faire sortir pour ensuite les remplacer par des sons compréhensibles de tous. C’est un long processus, qui se façonne au fil des jours. Les amoureux de la chanson se mettent à traduire en arménien les paroles de leurs chansons préférées, les amoureux de poèmes cherchent l’inspiration et noircissent le papier de leurs premières tentatives d’écriture, les passionnés de recherche plongent dans la cartographie, les amoureux de théâtre créent des scènes modernes qui expriment leurs sentiments et leurs pensées nouvelles, les amateurs de danse forment une ronde…
Et le chant, la parole, la poésie, le théâtre et la danse se développent grâce à l’inspiration et surtout aux encouragements invisibles des accompagnateurs et de toutes les personnes présentes. Les vers sont multipliés par dix, par vingt, et les chansons par deux, par trois. Le traducteur des chansons a toujours à la main un papier et un stylo. On s’approche sans rien leur demander, convaincu que le résultat se fera bientôt connaître. Et en effet, il ne se fait pas attendre : ce qu’ils ont produit est une berceuse qui s’est créée elle-même, chantée avec les sons de son créateur.
Les quatre semaines foisonnent de jeux, de chansons, de représentations et de danses. Des liens se tissent au fil des semaines, les regards se mettent à se croiser et les langues se délient, un peu plus sûres d’elles-mêmes, débordant de sons nouveaux, mais portant l’empreinte du passé. En si peu de temps, la langue s’est métamorphosée en fil conducteur. « J’aimerais qu’on habite près de “Zarmanazan” », nous avoue un enfant au moment des adieux. Une confidence qui en dit long sur le succès de cette petite communauté. Imaginez si ces méthodes pouvaient remplacer celles utilisées dans nos écoles de la diaspora ! Comme les neuf mois de l’année seraient riches pour l’apprentissage de l’arménien occidental !
Et derrière tout cela se tient une immense institution, la Fondation Calouste Gulbenkian, qui prend à cœur le développement de l’arménien occidental et qui ne ménage aucun effort pour sa survie.

Par Ani PRTOIAN-GHAZARIAN

Du bus, on aperçoit des maisons en bois clairsemées avec des toits rouges et pointus, des fenêtres de différentes largeurs, un petit escalier et un chemin serpentant à travers l’herbe jusqu’à la porte. On ne prête même pas attention aux balcons modernes en bois ou aux routes goudronnées quand on voit les bouquets de fleurs bigarrées soigneusement entretenus. Tout cela ressemble à un tableau, à un dessin, parachevé par quelques sommets montagneux, des morceaux de nuages dans le ciel bleu et deux lignes noires reliées qui, assurément, dans ce tableau, représentent des oiseaux dans le ciel.
Qui n’a pas dessiné ce genre de maison et de paysage dans son enfance, la maison de ses rêves, au cœur de la nature ? Une maison construite en pleine nature par l’homme, qui lui-même fait partie de la nature. Suis-je la seule à me souvenir de la maison que j’ai dessinée dans mon enfance ? Pourquoi m’en suis-je souvenu ? Y a-t-il un lien entre mon enfance et ma venue ici ? Peut-être…
La nuit, une rivière gargouille, et le jour, à chaque instant, on entend partout le ruissellement de l’eau qui éclabousse les rochers, mais aussi le sifflement du vent, le chant des oiseaux, à peine audible mais bel et bien là, qui est à parfaitement sa place dans cette nature pittoresque.
Le nom du lieu ou le lieu lui-même n’a pas d’importance. L’essentiel, c’est l’éveil des sentiments, qui peut se produire n’importe où.
Le bus s’arrête enfin dans un lieu où toutes les conditions sont réunies pour l’échange entre des personnes qui sont nées et ont grandi dans différents pays, qui ont été élevées avec des coutumes et des habitudes différentes. L’essentiel est de créer une langue qui serve de fil conducteur et d’utiliser une langue de communication commune à tous : l’arménien occidental. Un travail immense et harmonieux qui n’est jamais vraiment perceptible, mais toujours là.
Plus d’une centaine d’enfants, d’adolescents, d’adultes et de personnes plus âgées originaires de différents pays – de Bolis, des États-Unis, du Canada, d’Argentine, de Grèce, de France, du Liban, d’Arménie et bien d’autres – sont réunies pour participer à ce camp d’été dans un décor bucolique qui rappelle l’enfance. Oui, l’enfance. Le désir de redevenir un enfant, lorsque tout se met à grandir, à germer petit à petit, son par son, mot par mot… Et la parole commence à se développer avec les sons de l’enfant, à devenir une langue, la sienne. L’enfant se construit par ses propres efforts, sans interventions extérieures, porté avec un désir très fort qui l’anime et veut ne faire plus qu’un avec l’environnement.
Au début, il déforment les sons, comme s’il voulait inconsciemment les faire sortir pour ensuite les remplacer par des sons compréhensibles de tous. C’est un long processus, qui se façonne au fil des jours. Les amoureux de la chanson se mettent à traduire en arménien les paroles de leurs chansons préférées, les amoureux de poèmes cherchent l’inspiration et noircissent le papier de leurs premières tentatives d’écriture, les passionnés de recherche plongent dans la cartographie, les amoureux de théâtre créent des scènes modernes qui expriment leurs sentiments et leurs pensées nouvelles, les amateurs de danse forment une ronde…
Et le chant, la parole, la poésie, le théâtre et la danse se développent grâce à l’inspiration et surtout aux encouragements invisibles des accompagnateurs et de toutes les personnes présentes. Les vers sont multipliés par dix, par vingt, et les chansons par deux, par trois. Le traducteur des chansons a toujours à la main un papier et un stylo. On s’approche sans rien leur demander, convaincu que le résultat se fera bientôt connaître. Et en effet, il ne se fait pas attendre : ce qu’ils ont produit est une berceuse qui s’est créée elle-même, chantée avec les sons de son créateur.
Les quatre semaines foisonnent de jeux, de chansons, de représentations et de danses. Des liens se tissent au fil des semaines, les regards se mettent à se croiser et les langues se délient, un peu plus sûres d’elles-mêmes, débordant de sons nouveaux, mais portant l’empreinte du passé. En si peu de temps, la langue s’est métamorphosée en fil conducteur. « J’aimerais qu’on habite près de “Zarmanazan” », nous avoue un enfant au moment des adieux. Une confidence qui en dit long sur le succès de cette petite communauté. Imaginez si ces méthodes pouvaient remplacer celles utilisées dans nos écoles de la diaspora ! Comme les neuf mois de l’année seraient riches pour l’apprentissage de l’arménien occidental !
Et derrière tout cela se tient une immense institution, la Fondation Calouste Gulbenkian, qui prend à cœur le développement de l’arménien occidental et qui ne ménage aucun effort pour sa survie.