Par Marc DAVO
Ces deux dernières semaines sont celles des coups de téléphone des protagonistes impliqués, de près ou de loin, dans le Sud-Caucase sous tension. On ignore le contenu des conversations téléphoniques, car seul leur entourage immédiat devrait en connaître. Les médias intéressés par la situation de la sous-région constatent cet activisme diplomatique et subodorent des nouvelles propositions, sans pouvoir donner la teneur.
>>> Le téléphone sonne dans les hauts lieux concernés
A l’ouest, le Secrétaire d’Etat Blinken a parlé avec Catherine Colonna, ministre des Affaires étrangères. La question relative au Haut-Karabakh semble avoir été examinée. Karen Donfried, Secrétaire d’Etat adjointe a parlé avec l’Azerbaïdjanais Ceyhun Bayramov. Elle a téléphoné au ministre Mirzoyan aussi. Pour sa part, ce dernier a eu une conversation téléphonique avec Brice Roquefeuille, co-président français du groupe de Minsk. Enfin, il a appelé Sergueï Lavrov. Par ailleurs, Suren Papikian , ministre de la Défense et son collègue russe, Sergueï Choïgou, ont échangé par téléphone.
Dans son déplacement dans la sous-région, Igor Khovaev, co-président russe du groupe de Minsk, a vu le Premier ministre Pachinian en présence d’Armen Grigorian, Secrétaire du Conseil de sécurité nationale. Il a également rencontré Ararat Mirzoyan.
Côté artsakhiote, le président Araïk Haroutunian est allé à Moscou, sans doute pour parler aux interlocuteurs moscovites à propos des récents événements au Haut-Karabakh . Il a pu revenir à Stepanakert très récemment, mais peu d’information filtre sur ce qui s’est dit à Moscou. On apprend que le ministre d’Etat Ruben Vardanian aussi s’est rendu dans la capitale de la Fédération. Il serait rentré à Stepanakert, selon certaines informations.
Y a-t-il l’ébauche de nouvelles propositions de solution? En tout cas, à Stepanakert, certains opposants en ont une.
>>> Pendant ce temps-là, les dissensions au sein
de la classe politique artsakhiote persistent
Le journal Hraparak, puis certaines plateformes d’information ont fait écho aux dissensions au sein de la direction artsakhiote sur la marche à suivre dans la politique intérieure et extérieure du territoire.
En gros, sur le plan externe, le camp du président Haroutunian, appuyé par l’ancien président Bako Sahakian proche de Robert Kotcharian, semble favorable à la poursuite des pourparlers avec Bakou sur les questions techniques comme la gestion de l’eau du barrage de Sarsang, etc menés par Vitaly Balassanian, Secrétaire du Conseil de sécurité nationale, écarté récemment de son poste. Ces pourparlers contenaient des concessions au pouvoir azéri.
Ruben Vardanian, lui, prêche «la lutte», estimant le plafond des concessions artsakhiotes atteint. Pour ce faire, il mise sur le rassemblement
général, sans doute derrière lui, pour résister aux pressions externes. Mais, dès le début, ce rassemblement contenait des failles. Samuel Babayan,
ancien ministre de la Défense et chef du parti «Patrie unie» (Mias-
nakan hayrénik), n’en a pas été partie prenante. Toujours sur le plan externe, c’est Arthur Ossipian, président du parti «Mon Droit» qui critique l’alignement de Ruben Vardanian sur Moscou, notamment dans la crise humanitaire consécutive à la fermeture du corridor de Latchine. Le ministre d’Etat n’a pas voulu critiqué, notamment dans une émission de la BBC, la complicité du contingent russe avec les pseudo-écologistes azéris.
Sur le plan interne, Tigran Petrossian, président du parti «Demain Artsakh», bien qu’ayant, au départ, un a priori favorable pour Ruben Vardanian, a vite commencé à critiquer l’action de ce dernier. La non éradication de la corruption, l’injustice sociale et le chômage sont ses principales reproches.
>>> Que proposent les leaders d’opposition artsakhiote
En dépit de leurs revendications exprimées de façon désordonnée et parfois maladroite, Tigran Petrossian et Arthur Ossipian, comme leaders politiques, représentent un segment important de la population mécontente.
Alors que «Demain Artsakh» recommande de voir la position de Ruben Vardanian après son retour, quelle que soit la décision de son maintien ou non au pouvoir, le parti «Mon Droit» réitère la solution consistant à mettre en place un Comité représentatif provisoire chargé de diriger le pays tout en maintenant le président Araïk Haroutunian en place, mais «en position d’inaugurer des chrysanthèmes». Ainsi, «l’ordre constitutionnel sera conservé» , et «le pouvoir bénéficiera de la légitimité dans ses rapports avec les acteurs extérieurs», dit A. Ossipian. Le risque craint d’une machination russo-azérie visant l’éclatement du pouvoir à Stepanakert et sa délégitimation sera réduit à néant. L’ennemi n’aurait pas de prétexte pour intervenir afin de transformer les Arméniens en une population dépossédée de son pouvoir dans le pays.
>>> Le Haut-Karabakh d’aujourd’hui
A l’issue des guerres perso-russes et de la conclusion du traité de Gulistan en octobre 1813, l’espace où dominaient les 5 principautés arméniennes (khamsa mélikats) d’Artsakh s’étendait sur 24 000km2. Puis vint la décision du KavBuro (bureau caucasien) des bolchéviques en 1921, qui le réduit à 8 000km2. Après la guerre des 44 jours de 2020, le réduit artsakhiote se limite à 3 100km2, même si, administrativement, le pouvoir à Bakou a supprimé la RANK (Région autonome du Haut-Karabakh).
Interrogé par la 1ère chaîne de TV publique, Gaguik Avanessian, vétéran de la 1ère guerre d’Artsakh, rapporte que lors des pourparlers après le cessez-le-feu de mai 1994, les Azéris avaient évoqué le retour des réfugiés dans les zones «occupées» par les Arméniens. Selon les dernières statistiques soviétiques de 1987 pour l’ensemble des 7 districts (zone tampon autour de la RANK), le nombre d’habitants tournait autour d’environ 400 000 personnes. Manuel Sargssian, représentant de la partie artsakhiote, avait avancé le chiffre de 500 000 Arméniens (chiffre accepté par la partie azerbaïdjanaise) qui avaient fui les persécutions
azéries (Soumgaït, Kirovabad, …) et avait suggéré l’idée que les réfu-
giés arméniens s’installeraient dans ces districts, en contrepartie, les réfugiés kurdo-azéris des districts en question occuperaient les habitations abandonnées par les Arméniens d’Azerbaïdjan. Le président Lévon Ter Petrossian aussi avait promis l’installation de 300 000 Arméniens en Artsakh.
Or, Serge Amirkhanian, ancien directeur du bureau du repeuplement, me confia un jour que les Arméniens ne réussirent même pas à réinstaller dans l’Artsakh tous les habitants de Getashen-Shahumian (30 000 personnes), réfugiés provisoirement dans la région de Vardenis en Arménie. Ils partirent en majorité en Russie. L’encerclement d’un grand nombre de population aurait sans doute soulevé une plus grande indignation internationale.
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L’opposition artsakhiote est fortement consciente du danger qu’une confrontation entre les deux camps à Stepanakert entraînera. Ces rivalités, dans les faits au détriment des intérêts nationaux, fourniront l’occasion aux ennemis du Haut-Karabakh d’intervenir directement dans le pays, pour supprimer définitivement ce qui reste d’un pouvoir institutionnel et légitime. Ainsi, la liquidation de la question artsakhiote s’effectuera-t-elle de l’intérieur. Afin d’éviter les effets désastreux de la poursuite des dissensions, l’opposition préconise le maintien du président, très critiqué qu’est Araïk Haroutunian, au nom de la nécessité de conserver l’ordre constitutionnel et la remise de la direction des affaires publiques à un comité du salut, représentatif de la population, en attendant le changement du rapport de forces tant international que sous-régional. ⊆