OPINION – Le futur (Haut)-Karabakh, selon Sergueï Lavrov

par Marc DAVO

Pendant longtemps, Moscou a entretenu le flou sur sa vision quant au futur statut du Haut-Karabakh. Bien que le président Poutine, à deux reprises, ait publiquement déclaré qu’il voyait le territoire au sein de la République d’Azerbaïdjan, les autorités russes insistaient pour envoyer l’examen de la question de statut à plus tard, sans préciser s’il interviendrait à court ou moyen ou long terme. Cette ambiguïté laissait aux forces politiques pro-russes tant en Arménie qu’en Artsakh l’opportunité d’entretenir l’illusion d’un avenir meilleur sous la houlette de Moscou. 

Cependant, certains commentateurs avertis attiraient l’attention sur les risques politiques que cette incertitude comportait. Or, le rideau de fumée vient de disparaître à la suite des déclarations de Sergueï Lavrov, lors de la conférence de presse que le ministre des Affaires étrangères russe a donné en présence de son homologue, Ararat Mirzoyan, le 20 mars dernier. 

>>> La douche écossaise de Lavrov surprend
les pro-moscovites d’Arménie et du Haut-Karabakh

Ces pro-moscovites se gargarisaient de « l’avantage » que le flou artistique du plan russe permettait d’espérer par rapport à l’approche occidentale dans ses versions washingtonienne ou européenne. Je rappelle que ces dernières soulignent la nécessité de solutionner la question du statut par des pourparlers directs entre les représentants de la population du Haut-Karabakh et les autorités d’Azerbaïdjan dans un cadre de garanties internationales. Mais le ministre Lavrov a enlevé toute illusion, même si certains, surtout à Stepanakert,  préfèrent continuer la politique de l’autruche.

Tout d’abord, M. Lavrov, pour faire plaisir aux Azéris, ces derniers en conviennent, a soigneusement évité d’employer le terme «Haut-Karabakh», banni par Bakou qui préfère l’appellation «le Karabakh». Il invite les Artsakhiotes à se contenter d’un minimum de droits, qui sera obtenu à l’issu des pourparlers directs entre les autorités de Bakou et les représentants de Stepanakert. Ce faisant, il s’est référé à deux cas de figure, le statut envisagé pour les Russophones de Dombass en Ukraine prévu à Minsk en 2014-2015 et le statut de la minorité serbe du Kosovo, négocié à Bruxelles en 2013.

>>> Le minimum proposé est très en-dessous des dispositions du statut de la Région autonome du Nagorno-Karabakh

Selon Lavrov, la population du territoire pourra maintenir sa langue (en l’occurrence l’arménien), conserver sa religion et sa culture. Elle pourra également établir des liens commerciaux et économiques avec ses compatriotes (allusion à l’Arménie ?). En résumé, l’idée annoncée consiste à octroyer un statut d’auto-gestion et non une autonomie (il n’y a même pas la possibilité d’espérer l’indépendance à l’avenir).

En fait, l’idée sous-jacente de cette proposition est que les Artsakhiotes auront à peu près un statut similaire, comme dans le cas des Serbes dotés d’une organisation regroupant les communes à majorité serbe dans le Kosovo, sans prendre en considération l’aspect territorial. Autrement dit, l’organisation ne s’impliquera pas à un espace territorial délimité, mais à un regroupement de population bénéficiant des droits, sans pouvoir législatif, ni exécutif, etc.

Il s’agit d’un énorme recul par rapport à la situation administrative qui prévaut actuellement au Haut-Karabakh où il existe des institutions, un parlement élu, un gouvernement et aussi d’un net recul par rapport au statut d’antan sous le régime soviétique.

La question des garanties passe sous silence, alors que dans les options américaine et européenne, on invoque la mise en place d’un mécanisme international garantissant l’application des décisions obtenues entre parties. 

>>> Les réactions

Le commentateur assidu de la chaîne Shant news rappelle à juste titre que M. Lavrov propose aux Arméniens un statut que toute minorité a naturellement dans un pays démocratique et non à une population, comme c’est le cas actuellement, au seuil d’une opération de nettoyage ethnique ourdie par les autorités de Bakou. La fermeture du corridor de Latchine par les Azéris avec la complicité de Moscou en témoigne. 

Le politologue et l’ancien député Michael Zolian souligne sur TV1 la « naïveté » de l’opposition parlementaire qui considérait le flou moscovite quant au traitement à l’avenir du statut comme étant un point positif. Il précise que la Russie  n’envisage pas l’indépendance de l’Artsakh. Le politologue Edouard Antinian sur News.am (proche de l’opposition) reproche aux autorités de Stepanakert, qui par la voix de l’ex-ministre des Affaires étrangères, David Babayan, veulent discuter avec Bakou sous l’égide du contingent russe,  au QG du commandant à Ivanian (ex-Khodjalou) alors que ce dernier n’applique que les ordres du Kremlin.

Manifestement embarrassé, David Babayan, qui est devenu conseiller du président Araïk Haroutunian, déclare sur Factor TV qu’il convient de « regarder toute proposition avec calme et sérénité » et « notre réponse doit être basée sur des principes auxquels nous tenons, … l’Artsakh ne peut pas être dans le cadre de l’Azerbaïdjan ». Et ajouter, puisque M. Lavrov cite le Kosovo, alors pourquoi pas l’Artsakh indépendant comme le Kosovo. 

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Force est donc de constater que l’opposition pro-Kremlin a le dos au mur, elle reste silencieuse pour l’instant, mais elle trouvera des arguties pour accuser le gouvernement d’Erevan d’être la cause de la déconvenue. Quant à la politique de Moscou, toute illusion d’un soutien aux Arméniens est à proscrire. L’alliance Moscou-Ankara-Bakou agit contre les intérêts des Arméniens.