Le 30 mars, le Service de sécurité nationale (SSN) d’Arménie a annoncé dans un communiqué que selon l’accord conclu en août 2022, le corridor de Berdzor reliant l’Artsakh à l’Arménie devrait se terminer à partir du 1er avril 2023, au pont de Kornidzor. À partir de cette date là, la route reliant l’Arménie au corridor de Berdzor devrait passer par la route Kornidzor-Tegh, uniquement à travers le territoire de l’Arménie. Cependant, les forces azerbaïdjanaises sans attendre les ajustements, avaient commencé le 30 mars à faire avancer leurs positions et à effectuer des travaux d’ingénierie.
Ainsi, selon le communiqué, dans au moins cinq endroits différents, des troupes azerbaïdjanaises avaient avancé leurs positions de 100 à 300 mètres à l’intérieur de la frontière arménienne, n’ayant pas précisé sur quelle largeur.
Dans ce communiqué, le SSN déclarait qu’un accord avait été conclu pour que les cartographes des deux parties clarifient la situation. Il mentionnait également que la partie arménienne aborde la situation avec la logique de ne pas créer de nouvelle escalade.
« L’armée de la République d’Arménie n’avait pas de positions dans la zone en question, car les positions ne sont pas situées sur la ligne frontalière, mais sur des hauteurs stratégiques proches. Et la protection de cette partie de la frontière doit être confiée aux gardes-frontières, conformément à l’accord susmentionné », concluait le communiqué.
Cette information, naturellement, a suscité l’inquiétude et a immédiatement soulevé un tollé en Arménie.
Le Premier ministre a tenté de « minimiser » l’incident, mais…
Se référant à l’incident du même jour, le Premier ministre Pachinian, probablement dans la même logique que celle exprimée par le SSN, a tenté de « minimiser » l’incident, affirmant qu’il n’y avait aucun changement dans les positions arméniennes, seule la route Arménie-Artsakh avait été modifiée.
Pachinian a expliqué qu’« à la suite de l’accord conclu entre les autorités de l’Azerbaïdjan et du Haut-Karabakh en août 2022, le tracé du corridor de Latchine (Berdzor) a été modifié avec le lancement d’une nouvelle route, mais celle-ci n’étant pas entièrement prête, une route temporaire a été lancée, qui pénétrait sur le territoire de la République d’Arménie par le pont de Kornidzor, puis de nouveau passait par le territoire de l’Azerbaïdjan, puis de nouveau sur le territoire de la République d’Arménie. Selon l’accord conclu, cette route devait fonctionner jusqu’au 1er avril 2023. Avant-hier, nous avons informé la partie azerbaïdjanaise que, conformément à l’accord, la route après le pont de Kornidzor ne se poursuivra qu’à travers le territoire de l’Arménie et que les troupes des gardes-frontières de la République d’Arménie prendront en charge la protection de la frontière dans cette section ».
« Ils nous ont laissés seuls avec les Azerbaïdjanais »
Mais, les témoignages provenant des zones où des avancées des troupes azerbaïdjanaises ont été enregistrées révèlent une situation bien plus sérieuse et grave que celles décrite par le Premier ministre.
Ainsi, Argam Hovsepian, chef de la faction « Pays à vivre » de la communauté Tegh de la région de Syunik, a déclaré à Tert.am le 31 mars que près de 80 à 100 hectares de terres de sa commune sont sous le contrôle des Azerbaïdjanais. « Avant, les soldats russes y étaient stationnés, ils sont partis il y a deux jours. Après les Azerbaïdjanais se sont avancés, ont planté leur drapeau sur nos terres arables et construisent progressivement leurs avant-postes, ils travaillent activement », a-t-il déclaré, ajoutant que d’obliger les Azerbaïdjanais à se retirer de cette région, sera extrêmement difficile.
« Ils ne partiront pas d’eux-même, il faudra les repousser d’ici. C’est vrai que pour l’instant ils se tiennent calmes, mais naturellement, il y a tout de même une inquiétude parmi les habitants ; les gens ne peuvent pas approcher les terres qu’ils cultivent. Le seul moyen est de les repousser avec des armes ; il ne sied pas aux Arméniens de croiser les bras et attendre à chaque fois qu’ils viennent s’installer sur nos terres, c’est honteux », a déclaré Hovsepian, considérant en même temps la position des autorités comme incompréhensible.
« L’ennemi s’approche de nos communes sans encombre, entre dans nos maisons, et face à tout cela la seule explication donnée est qu’on ne veut pas créer de tension. Ils sont déjà dans nos maisons, peut-on encore parler de ne pas créer de tension ? », se demande-t-il perplexe.
Selon lui, les autorités devraient informer les habitants et assurer au maximum leur sécurité. « Ils nous ont laissés seuls avec les Azerbaïdjanais. Cette situation est créée à cause des lacunes des autorités, de leur incompétence », a conclu Hovsepian.
« Les Azerbaïdjanais ont déraciné le blé que j’ai semé, creusé une tranchée à la place »
Un autre habitant du village de Tegh a déclaré à la radio Azatutyun qu’il avait semé du blé sur ses deux hectares de terre, espérant une bonne récolte, mais depuis le 30 mars, les Azerbaïdjanais sont installés sur son champ de blé.
« Hier (le 30 mars) j’étais au travail, j’en suis revenu et quelqu’un m’a dit que les Turcs sont venus ; je suis allé voir ; ils avaient arraché mes semailles, mon blé semé, et à la place ils étaient en train de creuser des tranchées. J’en suis revenu en faisant profile bas. Que faire d’autre ? », s’est demandé ce résident du village de Tegh qui a perdu son champ de semis.
Il a déclaré qu’à ce moment-là, il y avait des représentants des forces armées arméniennes et des casques bleus russes, mais leur présence n’a pas empêché les forces azerbaïdjanaises de poursuivre leur « travail ».
Ce villageois a affirmé que ses terres, comme celles des autres habitants du village, qui sont maintenant sous le contrôle des Azerbaïdjanais, ont toujours appartenu aux Arméniens, pendant l’ère soviétique et après l’indépendance ; ils ont toujours payé des impôts fonciers pour ces terres, plus encore, cette année, il a payé le double pour les 2 hectares de terrain qu’il a perdus ce 30 mars, en raison de la hausse des prix. « Avant aussi elles nous appartenaient ; ce n’est pas un territoire azerbaïdjanais ; elles sont les nôtres avec des contrats à l’appui ; nous payons des impôts pour ; cette année ils ont augmenté. Je payais toujours 20 000 et quelque, cette année j’ai dû payer 40 000 et quelque »…
Les habitants de la commune de Tegh n’ont pas seulement perdu leurs récoltes, après l’avancée des Azerbaïdjanais le 30 mars, mais ils ont également été privés de leurs pâturages.
« Il y a des endroits sur les hauteurs où les pâturages sont exposés à l’ennemi, on ne peut même pas y faire paître le bétail », a déclaré cet interlocuteur d’Azatutyun.