Profitant de la visite de Noubar Afeyan à Paris à l’occasion de l’ initiative de FAST, nous avons réalisé avec lui l’entretien que nous présentons ci-dessous:
« Nor Haratch » – Dans quel but avez-vous organisé cette initiative de FAST à Paris ?
Noubar Afeyan – Vous savez, nous avons déjà présenté ce sujet à différents endroits afin que les gens puissent participer et créer des liens avec le secteur des technologies de l’Arménie. C’est la première fois que nous nous réunissons à Paris sur ce sujet. Nous prévoyons la participation de 200 personnes. Des informations seront fournies sur la capacité de l’Arménie, afin que les Arméniens de la diaspora sachent comment ils peuvent l’aider, attirer et inspirer leur entourage…
« NH » – En général, la France est une vieille communauté, une communauté formée après le génocide, qui existe déjà depuis 100 ans. Ses structures traditionnelles n’ont pas été en mesure de développer un tel programme jusqu’à présent, et FAST, en tant que nouvelle structure, est parvenue à introduire dans une certaine mesure la modernité dans la société arménienne et à voir quels types de partenariats peuvent être établis entre l’Arménie et la Diaspora. Dans quelle mesure votre structure, qui s’occupe de l’intelligence artificielle, peut-elle coopérer avec cette structure traditionnelle ?
N. A. – L’approche moderne que vous avez évoquée ne fait pas référence au passé, mais à des projets pour l’avenir, alors que les organisations traditionnelles se basent sur le passé et s’efforcent d’améliorer le présent. Nos programmes, en général au cours des 20 dernières années, sont basés sur l’idée que si l’on veut avoir un avenir différent, il faut s’attaquer davantage aux défis du futur vers le présent, dans lesquels l’intelligence artificielle et divers autres programmes ont un rôle important. Si nous pouvons relier notre avenir à notre présent et à notre passé, nous réussirons. Si l’on parvient à relier les nouveaux fonds, généralement tournés vers l’avenir, comme par exemple COAF, TUMO, FAST ou divers autres programmes, avec les communautés arméniennes, généralement préoccupées par le passé et le présent, on peut s’attendre à un résultat bien plus important, à un avenir meilleur.
« NH » – Vous avez créé de nombreuses fondations, organisations et structures et êtes engagé dans des activités liées à la modernité. Naturellement, tous ces domaines sont liés à la politique. Et nous avons vu que votre collègue Ruben Vardanian s’est impliqué dans une certaine mesure dans la politique. Avez-vous l’intention de vous investir dans la politique à l’avenir ?
N. A. – Je n’ai rien à voir avec la politique en général, et même mon collègue Ruben n’était pas impliqué dans la politique en général ; simplement, après la guerre, quand il a vu que cette partie de notre peuple allait être détruite, il a voulu aider d’une manière ou d’une autre, afin d’assurer leur présent et leur avenir, et c’est pourquoi il est allé en Artsakh. Et si aider les gens se fait uniquement par la politique, alors nous devrions tous nous engager dans la politique, car c’est cela qui est humanitaire, tout comme dans le cas de l’Église. L’Église doit s’occuper des préoccupations présentes et futures des gens afin qu’ils puissent améliorer leur vie.
Mais si par faire de la politique nous entendons obtenir des votes et devenir membre du gouvernement, j’insiste, je ne m’intéresse généralement pas à ce sujet et je sais très bien que mon ami Ruben ne s’y intéressait pas non plus. Mais si votre nation est en danger et elle a besoin de votre aide, à mon avis, c’est une vocation complètement différente. Permettez-moi simplement de dire que les Arméniens devraient avoir une approche solidaire envers d’autres Arméniens. Nous devons aider les Arméniens vivant en Arménie, qui se trouvent dans une situation difficile, tout comme nos compatriotes qui ont été déplacés de force d’Artsakh, ainsi que les communautés arméniennes du Liban et de Syrie. Qu’est-ce que cela signifie que les Arméniens s’occupent d’autres affaires, au lieu d’aider d’autres Arméniens, alors que notre peuple 100 ans après se fait massacrer à nouveau… Je trouve cela absolument inacceptable.
« NH » – Après l’Indépendance, il y a eu de nombreuses initiatives et investissements financiers de la diaspora, dont de nombreux membres aujourd’hui sont mécontents, affirmant que tout cet argent, en fin de compte, a été gaspillé, ou a été utilisé par des gouvernements qui n’ont servi ni le peuple, ni l’État. Et certains de ces mécontents, pour justifier leur position réticente actuelle vis-à-vis de l’Arménie, déclarent qu’il est nécessaire de renforcer d’abord les structures de la diaspora, afin qu’elle puisse survivre et mieux aider l’Arménie. Comment voyez-vous ce problème ?
N. A. – La deuxième partie de ce que vous avez dit est juste, et je pense que nous devrions aussi travailler au renforcement des structures de la diaspora, en visant la survie de l’ensemble du peuple arménien. Actuellement, nous ne savons pas où nous allons en tant que nation, et justement pour cette raison il est nécessaire de penser non seulement à l’Arménie, mais aussi à l’ensemble du peuple arménien. Là, permettez-moi également de dire que notre activité n’est pas toujours acceptée en Arménie et parfois elle est même perçue, par les gens, comme un danger…
Concernant la première partie de votre question, lorsque vous dites que selon certains, l’argent a été gaspillé, je dois dire qu’il y a une faille dans cette critique, mais je ne m’occupe pas des critiques en général. Depuis 30 ans je me suis occupé de divers programmes, beaucoup ont réussi, certains ont échoué ; et de ces échecs je ne retiens que des leçons. J’exhorte tous les Arméniens à ne plus critiquer jusqu’à ce que nous soyons devenus plus forts, car la critique amène le désespoir, le désespoir est suivi par la division et les gens partent pour s’occuper de leur propre vie dans la diaspora, au lieu de rétablir la force du peuple arménien.
« NH » – Le problème est que ces gens arrivent à une conclusion politique en disant qu’ils devraient se concentrer sur le renforcement des structures de la diaspora.
N. A. – C’est possible aussi. Si quelqu’un veut traiter avec l’Arménie ou la diaspora, qu’il le fasse. Mais moi j’ai peur que celui qui ne veut pas traiter avec l’Arménie ne traite pas non plus avec la diaspora et devienne un Arménien perdu. Beaucoup disent qu’ils aidaient financièrement par le passé, mais voyant que leur argent n’est pas utilisé pour l’objectif prédestiné, ils n’envoient plus. Je leur dis : alors, venez, mettez cet argent à la banque et gardez-le pour le jour où vous vous jugerez prêt à le donner et ensuite donnez-le, ne l’utilisez pas à des fins d’avoir une meilleure vie privée, qui n’apportera rien à l’arménité. Je pense qu’il y a un malentendu parmi nous et parfois nous nous comportons mal avec l’Arménie, ce que je n’accepte généralement pas, quel que soit le gouvernement. Nous sommes les petits-enfants des survivants du Génocide, de quel droit avons-nous, en tant que nouvelle génération, de dire que nous n’allons pas faire telle ou telle chose de telle ou telle façon parce qu’elle est vouée à l’échec, etc… Nous devons d’abord travailler sur plusieurs générations, arriver à un point, avant de pouvoir juger ce qui est bon et ce qui est mauvais.
Entretien réalisé par
Jiraïr TCHOLAKIAN ■
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