Le fantôme de la « République de Mahabad » : Bakou participera-t-il au dépeçage de l’Iran ?

Dépeçage de l’Iran – 1945

Par Vahram Atanessian

1in.am, Erevan, le 16 juin 2025

Selon le site pro-gouvernemental azerbaïdjanais « haqqin.az », au lendemain de l’attaque israélienne contre l’Iran, le Parti démocratique du Kurdistan iranien a publié une déclaration appelant ses partisans à se rebeller et à renverser le régime de Khamenei. Ce texte était ainsi rédigé « Tant que ce régime sera au pouvoir, la situation ne fera qu’empirer … C’est pourquoi la clef pour libérer les citoyens iraniens des ténèbres, de la dévastation et de la crise reste la suppression et la destruction complète de ce régime ».

Mustafa Barzani à Mahabad

Ce média de Bakou rappelait que le Parti démocratique du Kurdistan iranien est une structure politique ancienne fondée en 1945. Ce rappel est extrêmement important si l’on considère le contexte de cette période, celui de l’occupation des régions du nord et du nord-ouest de l’Iran par les troupes soviétiques durant la Seconde Guerre mondiale. A la fin de la guerre, le dirigeant de l’Azerbaïdjan communiste, Mir-Jafar Bagirov, incitait les autorités centrales de l’URSS à ne pas retirer leurs troupes de ces territoires et à y soutenir les « mouvements démocratiques ». Conformément à ce plan, la zone d’occupation soviétique fut divisée en deux parties : l’une « azerbaïdjanaise » et l’autre, « kurde ». Le centre de la première partie fut établie à Tabriz, et la ville de Mahabad devint le centre de la seconde. Deux « États indépendants » furent alors proclamés. Mais le plan échoua ; en raison des demandes insistantes des États-Unis, mais surtout de la Grande-Bretagne, les troupes soviétiques durent se retirer. Les forces victorieuses établirent le contrôle sur les territoires sécessionnistes et les dirigeants des « républiques démocratiques » de Tabriz et de Mahabad trouvèrent refuge à Bakou.

La presse turque a récemment tiré la sonnette d’alarme : les bombardements israéliens sur Tabriz, Ourmia et d’autres villes et villages de l’Atropatène [les deux provinces azerbaïdjanaises d’Iran] « ouvrent la voie aux Kurdes vers ces régions turques ». La déclaration du « Parti démocratique du Kurdistan iranien » semble indiquer qu’un nouveau mouvement visant à « établir une entité kurde » est en train de naître dans la région. Selon les rapports d’experts, elle serait soutenue par le gouvernement du Kurdistan irakien.

Ces dernières années, la thèse principale en vogue auprès de la communauté des experts de Bakou était qu’en cas d’attaque israélienne contre l’Iran, « l’Azerbaïdjan du Sud se rebellerait ».

Depuis près d’une semaine, Israël mène des attaques ciblées contre Tabriz, Ourmia et d’autres villes de la région. Cependant, personne en  Azerbaïdjan du Sud [iranien] n’a encore appelé publiquement à dénoncer l’administration Khamenei, ni à défendre Israël. Il convient de rappeler que le  président iranien Pezeshkian est lui-même originaire de cette région. On notera avec intérêt que la propagande de Bakou rappelle cette expérience de la « République de Mahabad » qui a eu lieu il y a plus de plus de 80 ans et que les experts turcs s’inquiètent des actions apparentes d’Israël en faveur des Kurdes iraniens. Le président turc Erdogan a annoncé, après une réunion gouvernementale, qu’Israël nourrissait des « projets insidieux » au Moyen-Orient. Le même jour, le Premier ministre israélien Netanyahu avait assuré qu’après la victoire sur l’Iran, nous aurions un Moyen-Orient entièrement nouveau.

Les régions kurdes du nord-ouest de l’Iran, où la « République de Mahabad » avait été proclamée il y a quatre-vingts ans sous l’égide du dirigeant communiste azerbaïdjanais, Bagirov, sont frontalières avec la Turquie et le Nakhitchevan. À la veille de l’attaque israélienne contre l’Iran, des exercices militaires turco-azerbaïdjanais conjoints avaient eu lieu au Nakhitchevan.

D’un point de vue politique, le projet israélien de « République de Mahabad » en Iran devrait également inquiéter l’Azerbaïdjan. Cependant, à en juger par le ton de l’article publié dans le média pro-gouvernemental, le Bakou officiel semblerait se ranger du côté israélien sur cette question : « Après la victoire sur l’Iran, nous élargirons la zone géographique de l’alliance abrahamique », a annoncé le Premier ministre israélien Netanyahou.

Il devait se rendre à Bakou le 7 mai à cette fin.

La visite n’avait pas eu lieu en raison du refus de la Turquie de lui permettre d’emprunter son espace aérien.