Erevan doit adopter des positions dénuées d’ambiguïté
Par Marc DAVO
On se souvient que l’UE (Union européenne) avait, à l’issue de la réunion quadripartite de Prague (Michel-Aliev-Pachinian et Macron), en octobre 2022, dépêché une mission civile d’observation en Arménie, comprenant une quarantaine de personnes prélevée sur son contingent installé en Géorgie. Cette mission, décidée à l’instigation de la France, avec l’accord des participants était limitée dans le temps (deux mois). L’Azerbaïdjan avait objecté qu’elle entre sur son territoire, mais avait consenti qu’elle opère en Arménie.
1- “Sortie par la fenêtre, l’UE revient par la grande porte”
Une fois la mission terminée le 19 décembre dernier, Josep Borrell, chef de la politique extérieure et de sécurité de l’UE, avait laissé entendre qu’il n’y aurait pas de suite. Le rejet par Bakou de participer à une seconde réunion prévue pour le 7 décembre pourtant décidée en octobre, toujours en présence du président Macron, laissait supposer que le format pragois (bruxellois-2, sous forme quadripartite) n’était plus opérationnel pour cause de refus de l’un des protagonistes. L’UE paraissait ne plus être en mesure de continuer sa médiation dans le conflit entre l’Arménie et l’Azerbaïdjan. Moscou s’en réjouissait dans son for intérieur tandis que Washington s’abstenait de commenter.
Il est vrai que les suggestions et pressions exercées dans le format bruxellois (négociations précédant celle de Prague) n’avaient pas donné de résultats significatifs. Areg Kochinian, analyste averti à Erevan, avait, lors de ses interventions dans les médias, énuméré les échecs dont la non-résolution de la question des prisonniers de guerre arméniens toujours détenus en Azerbaïdjan.
Cependant, l’UE vient d’opérer un retour plus marqué, bien qu’elle soit liée à l’accord de fourniture de gaz, signé à Bakou en juillet 2022 par Ursula von der Leyen, présidente de la Commission européenne.
Le retour de l’UE sur la scène sud-caucasienne se fait cette fois-ci encore à l’instigation de Paris et sous la forte impulsion du Parlement européen.
Le rapport du parlement, très favorable aux Arméniens, a préparé le terrain et Josep Borrell a été amené, après l’approbation du Conseil européen du 23 janvier, à mettre en place une mission civile d’observateurs avec les particularités suivantes. Elle est pour une durée de deux ans, sur les deux frontières est et sud-ouest (Nakhidjevan) de l’Arménie avec l’Azerbaïdjan, une centaine d’observateurs, autonomes et non plus prélevés sur le contingent installé en Géorgie. Fait important, Bruxelles n’a pas demandé l’avis de Bakou.
2- Réaction négative de Bakou et de Moscou
Bakou ne cache pas son mécontentement à l’égard de la résolution du Parlement européen (débattue les 16-19 janvier) et surtout de la mise en place d’une seconde mission civile d’observation de l’UE, dès lors que cette dernière n’a pas sollicité l’approbation azérie. Enivré par sa victoire de 2020, Ilham Aliev croyait son pays être en mesure de dicter ses desiderata, comme la puissance hégémonique de la sous-région.
Moscou, pour sa part, critique la décision européenne. Sergueï Lavrov, ministre des Affaires étrangères, la qualifie de « contre-productive ». Le député de la Douma Zatulin déclare même, « à Moscou de coordonner les politiques extérieure et intérieure d’Arménie et si celle-ci modifie son orientation (pro-russe), il y aura une intervention des forces russes présentes dans la sous région ».
Encore une fois, ces prises de position témoignent de la conjonction d’intérêts entre la Russie et l’Azerbaïdjan.
3- Objectifs poursuivis par l’UE
Les commentaires des médias arméniens sont favorables à la décision européenne. L’opposition pro-Krémlin est quasiment atone, sauf quelques politiciens amateurs qui répètent les narratifs dictés de Moscou.
Interrogé par CivilNet TV, l’analyste Hagop Badalian, tout en saluant cette décision, estime que « la mission ne changera pas la donne (arméno-azérie) dans la sous région ». Elle s’insère dans le cadre des tentatives de rendre gérable la situation et d’aider l’Arménie à bénéficier d’un appel d’air. Parallèlement, la France s’emploie à réduire le développement de l’influence turque dans la zone.
4- Ce qu’Erevan doit absolument faire pour la réussite de la mission
Sans conteste, la présence de la mission constitue une gêne, voire un frein à la volonté des autorités azéries d’obtenir des concessions du gouvernement arménien sous pression. Le principal gain qu’elles souhaitent, c’est la cession par Erevan d’un corridor extraterritorial via Meghri. Le Krémlin s’en réjouira car ce corridor où il exercerait une surveillance par ses forces de sécurité telle qu’inscrite dans le point 9 de la déclaration du 9 novembre 2020, lui est très utile pour accéder aux marchés extérieurs via la Turquie.
Certes, Ararat Mirzoyan s’est réjoui de la décision de l’UE, mais l’accueil bienveillant de l’Arménie ne doit pas se limiter aux déclarations. Il est important que la mission puisse accomplir sa tâche dans des conditions optimales, sans qu’il n’y ait tentatives de restrictions, ni obstacles de la part des administrations arméniennes concernées. Ce n’est pas par hasard que des appréhensions se sont, à peine discrètement, exprimées sur l’éventualité d’un manque de pleine coopération des fonctionnaires sous l’influence d’agents des services de renseignement russes incrustés depuis longtemps dans les ministères régaliens arméniens. Il est urgent que les hautes autorités d’Erevan mettent fin à ce type de comportement.
Par ailleurs, Erevan doit mettre à profit ces deux ans pour se ressaisir et préciser sa politique dans le cadre d’une stratégie claire ne donnant pas l’impression d’une partie de cache-cache qui caractérise les prises de positions actuelles du gouvernement à l’égard des principaux centres de décisions dont la position oriente l’évolution des rapports de forces au niveau international.