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Varoujan Attarian et ses amis les plus proches: de gauche à droite assis: Varoujan Attarian (Suisse), Varoujan Knouni (Grèce) debout: Ruben Mozian (Argentine) et Robert Aydabirian (France)
Le 9 septembre 2005, Varoujan Attarian nous quittait, juste 20 ans avant Gérard Chaliand qui s’est éteint en août 2025. Ils étaient devenus de grands amis en 1956. Gérard Chaliand qui le surnomma T’Attare lui présenta Jeanne, sa future femme, une suissesse à la fibre sociale solide. Un intérêt sincère pour les luttes anti-coloniales, en pleine effervescence en Afrique, Asie et Amérique latine, les réunit dès cette première rencontre.
Après avoir échangé sur leurs cultures, arménienne acquise près des Pères Mekhitaristes du Liban pour l’un, et internationale pour l’autre, ils manifestèrent naturellement leur soutien actif aux causes tiers-mondistes de la fin des années 50.
Vingt années plus tard, la vanité et surtout la nocivité de certaines luttes armées, mues en terrorisme, leur apparurent préoccupantes. Gérard Chaliand en révéla les travers dans son premier grand ouvrage Mythes révolutionnaires du tiers-monde que le futur cofondateur d’ATTAC, Bernard Cassen, commenta élogieusement dans le « Diplo » d’avril 1976.
Varoujan, un dirigeant dashnak responsable
Convaincu par les observations et analyses de Gérard, Varoujan entrepris de questionner aussitôt Hrayr Maroukhian, sur les objectifs de la lutte armée entreprise par les Commandos des Justiciers du Génocide Arménien (CJGA) en 1975. Surpris, celui-ci ne put répondre que par un lourd silence.
Leonid Brejnev, secrétaire général du Parti communiste de l’Union soviétique (PCUS) avait, en pleine guerre froide, encouragé notamment Palestiniens et Arméniens, à mener des actions terroristes contre les intérêts occidentaux dans le monde. Celles des CJGA étaient ciblées sur les diplomates et représentations diplomatiques turques, celles de l’ASALA tous azimuts, débouchèrent sur le désastre humain et politique de l’attentat d’Orly et à l’arrestation de membres de cette organisation dirigé par le sinistre Hagop Hagopian. Plus raisonnables, les instances politiques de la FRA décidèrent en 1985 de mettre fin à ces méthodes délétères et aux opérations sacrificielles comme celle des « 5 de Lisbonne ».
Varoujan pionnier de la reconnaissance du génocide des Arméniens
Depuis 1967, Attarian suivait à Genève les travaux de la Sous-Commission des droits de l’homme de l’ONU, chargée d’élaborer les modalités de « lutte contre les mesures discriminatoires et pour la protection des minorités ». En 1973 le rapport intermédiaire mentionne dans son paragraphe 30 les déportations des Arméniens de l’Empire ottoman. Nicodème Rhuhashankiko, le rapporteur rwandais, les qualifie de premier génocide du 20e siècle. La disparition de ces mentions dans le rapport de 1978, à la suite de pressions turques, ainsi que les dérives du terrorisme publicitaire (1)
arménien mobilisa Varoujan et ses amis dont Gérard Chaliand qui décidèrent de réunir un colloque international présidé par trois prix Nobel (cf. l’article d’Isabelle Kortian, publié sur le site d’Armenews du 21 aout 2025) pour obtenir le 16 avril 1984, la reconnaissance du Tribunal permanent des peuples. Encouragée la Sous-Commission des droits de l’Homme de l’ONU procéda à cette reconnaissance le 29 août 1985.
La solidarité de combat et l’accord intellectuel naturel de Varoujan et Gérard avait fait des émules. Né en 1930 Varoujan devint de fait le parrain des futurs militants de la Cause arménienne qui, à partir de 1965, avaient franchi les portes de l’enseignement supérieur. Alors secrétaire du Comité central de la FRA, Varoujan Attarian annonça dans une de ses circulaires magnifiquement rédigées, la création de l’Union des Etudiants Arméniens d’Europe (UEAE). Juste un mois après celle de l’Union des étudiants arméniens (UEA) de Lyon que nous avions annoncée. Issus de ses rangs, ils se regroupèrent au sein du Comité de Défense de la Cause Arménienne (CDCA) et de la Solidarité Franco-Arménienne (SFA) en vue d’obtenir la reconnaissance du génocide des Arméniens par le Parlement européen, le 18 juin 1987.
Dans l’ouvrage très didactique Le génocide des Arméniens devant l’ONU, publié en 1999, Varoujan raconta les nombreuses péripéties de ses vingt années de lobbying, au sein de cette institution où il se lia d’amitié avec les experts indépendants tels le Français Louis Joinet, et l’Argentin Leandro Despouy, qui agirent avec lui jusqu’au vote final. Mais, grande fut la surprise de voir l’expert soviétique s’opposer à le résolution de Benjamin Whitaker. Nous réalisâmes alors que les Russes craignaient le rappel de l’Holodomor, la famine imposée aux Ukrainiens par Staline en 1932 et 1933. Elle fit entre 4 et 8 millions de victimes et il a fallu attendre l’offensive russe lancée en février 2022 sur son voisin ukrainien pour que cette extermination par la faim soit reconnue comme un génocide par le Parlement européen le 15 décembre 2022.
Varoujan défenseur du Karabakh et de l’Arménie indépendante
Le 26 février 1988, un million d’Arméniens manifestent en soutien et en faveur du rattachement du Haut-Karabakh à l’Arménie, après que le Parlement de l’enclave eut exprimé ce même souhait par voie de référendum, le 20 février 1988. Ce vote provoqua une série de pogroms anti-arméniens dans plusieurs villes de la RSS d’Azerbaïdjan, du 27 au 29 février (Soumgaït, Kirovabad, Bakou). Après la proclamation de l’indépendance de la République d’Arménie, le 21 septembre 1991, et la constitution de forces d’autodéfense du Haut Karabakh afin de protéger la population arménienne de l’enclave, la guerre devint inévitable. Dépourvu d’armements les plus élémentaires, soumis au blocus de la Turquie et de l’Azerbaïdjan, le gouvernement arménien dirigé par Lévon Ter Pétrossian mandata notamment Vazken Sarkissian, ministre de la Défense, à l’étranger afin d’alerter sur la situation critique. Varoujan Attarian, par son intelligence et ses contacts, joua alors un rôle crucial. C’est ainsi que 5 avions atterrirent à l’aéroport de Zvartnots et que les volontaires arméniens du Haut Karabakh eurent les moyens de libérer le village de Karin Dag et la ville de Chouchi, menacés d’encerclement par les troupes azerbaïdjanaises commandées sur place par leur ministre de la Défense.
Motivés par ses petits calculs narcissiques, le bureau de la FRA voulu porter à son crédit cette opération d’envergure, mais en vain. À cette date, Varoujan et ses amis avaient déjà quitté le parti dashnak pour désaccords de fonds avec les résolutions pro-russes du Congrès mondial de 1988. En revanche, le serment de servir le peuple arménien en difficulté sera toujours respecté par Varoujan Attarian.
Une mission de conseil intelligente et constructive se poursuivit entre Vazken, Varoujan et ses amis, dans le but d’œuvrer à la sécurité et au développement de l’État arménien. Au premier Congrès mondial Arménie-Diaspora, en 1999, Vazken Sarkissian, devenu Premier ministre, appela à « convertir la victoire militaire en victoire économique ». Hélas, mille fois hélas, le 27 octobre il tomba sous les balles de terroristes arméniens, avec ses 9 meilleurs collaborateurs. Attentat ciblé !
Dernières paroles du « professeur » Attarian
Durant la nuit du 8 au 9 septembre 2005, Varoujan fut victime d’une crise cardiaque. Cet homme à l’élégance et l’humour britanniques, dont l’obstination démontrait sa volonté de fer et sa persévérance, était devenu pessimiste.
A ses côtés, Jeanne poursuivait sa mission d’éducatrice-psychologue accompagnant des adolescents en difficulté de toutes origines.
Durant les jours précédant sa mort, découragé, Varoujan s’interrogeait: « Notre nation saura-t-elle un jour devenir adulte ? »
Nous gardons cette préoccupation en mémoire, mais nous nous souviendrons encore longtemps des mots prononcés par Varoujan, lors du baptême de notre fils Raffi:
« Parrain que veut l’enfant ? » demanda le prêtre.
« Espoir, foi et liberté » répondit Varoujan, remplaçant le mot baptême par celui de liberté. (2)
Normal, il s’était battu pour elle toute sa vie durant.
Robert AYDABIRIAN
St Chaffrey 09/09/2025
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(1) L’expression de terrorisme publicitaire a été forgée par Gérard Chaliand.
(2) «Կնքահայր, երախան ի՞նչ կը խնդրէ»,– հարցուց քահանան։
«Յոյս, հաւատք եւ ազատութիւն»,– պատասխանեց Վարուժան, փոխանակ՝ «Յոյս, հաւատք եւ մկրտութիւն»−ի, որ ընդունուած բանաձեւն է։ ■