L’enjeu de Ruben Vardanian

Ruben Vardanian est en grève de la faim depuis déjà plus de trois semaines. Son message, envoyé depuis la prison, rendu public par l’intermédiaire de sa famille, est une demande de justice internationale : «À tous mes compatriotes, aux personnes qui me sont chères, je veux dire ceci – ce n’est pas seulement moi et 15 autres personnes qui sommes jugés, mais tous les Arméniens.»

Ce message, adressé à ses compatriotes, l’est plus encore à la communauté internationale, laquelle, jusqu’à présent, n’est pas allée au-delà de simples condamnations et n’a pris aucune mesure punitive vis-à-vis de Bakou. Et comment pourrait-elle le faire, quand le Congrès du pays le plus puissant du monde libre, les États-Unis, condamne les jugements et les juges de la Cour pénale internationale.

Bakou est bien conscient de la sensibilité de la société arménienne concernant la libération des prisonniers de guerre. L’autorisation de rendre public ce message souligne, en soi, son utilisation en tant qu’une carte dans le jeu visant à perturber la vie politique intérieure de l’Arménie, alors que le procès de l’intéressé se déroule en l’absence d’observateurs internationaux, d’avocats et de journalistes, et alors même qu’il est demandé au Comité international de la Croix-Rouge de quitter le pays, la seule organisation habilitée à rendre visite aux prisonniers de guerre. Pour les prisonniers sous haute surveillance l’autorisation de transmettre un message à contenu politique soulève naturellement la question : pourquoi cette bienveillance ?

Le message de R. Vardanian intéresse Bakou sous deux aspects : d’abord l’image affaiblie de Vardanian due à sa grève de la faim bouleverse l’opinion publique, et deuxièmement, ses prises de position politique s’opposent frontalement à celles du gouvernement arménien. Ce message résume les contradictions nationales et politiques du monde arménien.

Il est remarquable de constater que malgré une grève de la faim qui dure déjà depuis plus de trois semaines, R. Vardanian conserve la morale intacte et un sens élevé de l’intérêt de la nation: « Je ne suis pas une victime, il ne faut pas me plaindre, car c’est une décision consciente. »

De quelle décision consciente parle-t-il ? Vardanian n’était pas une figure politique avant de s’installer au Karabakh et d’être nommé ministre d’État en novembre 2022, après quoi le blocus du Karabakh a commencé le 12 décembre, il a duré 9 mois jusqu’à l’attaque meurtrière des forces azéries et le nettoyage ethnique des habitants du Karabakh de leur terre ancestrale. À l’époque, il avait déclaré : « Nous n’avons qu’un seul chemin – vivre, créer au Karabakh et croire en notre succès. » Un message qui contredisait directement les positions du gouvernement arménien, qui exhortait le président du Karabakh, Araïk Haroutiounian, à négocier avec les autorités azerbaïdjanaises afin d’obtenir un statut d’autonomie interne pour les habitants du Karabakh sous la souveraineté azerbaïdjanaise. Une position que ne partageaient ni R. Vardanian ni les dirigeants du Karabakh qui s’appuyaient sur la protection des forces de maintien de la paix russes.

R. Vardanian, avec ses activités philanthropiques envers la nation, était une personne dotée d’une vision politique claire. Avant son départ pour le Karabakh, ses ambitions politiques étaient perceptibles. Bien qu’il ait soutenu la fondation d’un nouveau parti politique en Arménie, dont l’une des principales figures était Mané Tandilian, en s’installant au Karabakh, il a voulu réaliser sa vision politique avec assurance. Il est devenu opposant, a critiqué la politique de «realpolitik» menée par les autorités arméniennes après la guerre de 2020. Il a lancé des appels depuis le Karabakh pour lutter et défendre l’indépendance du Karabakh par les armes et le sang.

Ruben Vardanian était un opposant d’une autre qualité, il n’avait pas participé au pillage du pays et à la corruption comme Serge Sarkissian ou Robert Kotcharian et leurs alliés. Grâce à ses activités et à son mécénat humanitaire, éducatif, social, scientifique et économique, il a accumulé un capital moral que ne possèdent pas les membres de l’ancien gouvernement qui a dirigé l’Arménie. Bien que son initiative au Karabakh ait échoué, il pourrait par ses qualités morales, former un front d’opposition respectable en Arménie et mettre fin à la polarisation extrême et dangereuse du pays.

J. Tch.