Par Marc DAVO
Dès l’annonce de la signature du document (charte de partenariat stratégique), le 14 janvier 2025 à Washington par le Secrétaire d’État Blinken et le ministre Mirzoyan, établissant une coopération de niveau élevé entre les deux pays, les démons de l’hystérie se sont mis à vociférer. Il est curieux que c’est en Arménie qu’on les entend plus, alors que le Kremlin par la voix de Dimitri Peskov s’est montré « pragmatique ».
Afin d’éviter de s’appesantir sur les détails du contenu du document signé, on peut tout simplement souligner que celui-ci comprend 5 points touchant les domaines aussi variés qu’importants pour l’Etat arménien. Le premier point porte sur les principes du partenariat envisagé. Par la suite, viennent les questions économiques et commerciales, les transports et l’énergie (2e), la défense et la sécurité (3e), la démocratie et la Justice (4e) et enfin (5e) les échanges culturels et humains. Ce règlement constitue la base d’un développement quasi tous azimuts des relations américano-arméniennes à venir.
Sa mise en œuvre, à condition que le gouvernement d’Erevan reste fidèle à l’esprit et à la lettre du document, ouvrira d’importante possibilité pour l’amélioration et le renforcement de la capacité de l’Etat arménien, notamment, en matière de sécurité et de souveraineté, de développement économique (énergie, investissements, etc.). Cela signifie, par exemple, que les infrastructures industrielles offertes aux Russes par Robert Kotcharian ou Serge Sarkissian pourront changer de statut et bénéficiant des investissements étrangers, se moderniser. Un seul domaine est spécifié, il s’agit de la question relative à l’énergie nucléaire, dont l’Arménie a grandement besoin, car la centrale de Metsamor atteindra bientôt sa limite de fonctionnement. Les Américains se disent prêts à aider l’Arménie dans sa quête d’une diversification des ressources énergétiques. Ainsi, la forte dépendance du pays vis-à-vis de la Russie qui n’hésite pas à l’utiliser comme un levier pour faire pression sur les orientations du gouvernement arménien, va-t-elle diminuer.
Officiellement, le Kremlin a donné le la pour ce qui concerne la réaction de la Russie, assez mesurée. Cependant, aux échelons inférieurs l’inquiétude ne devrait pas ne pas être perceptible. Il est possible que dans les jours à venir que des voix s’élèvent pour émettre des critiques.
Bakou devrait suivre attentivement l’évolution, son seul espoir étant une remise en cause ou du moins un gel décidé par la nouvelle administration républicaine. Les experts soulignent que Donald Trump est imprévisible. Cependant, chez les analystes sérieux arméniens prévaut la conviction qu’un arrangement préalable entre l’administration démocrate et l’équipe du nouveau président a eu lieu sur les questions fondamentales.
À ce stade, l’Iran ne s’est pas encore réagi, de même que la Turquie.
En Arménie, certains s’enthousiasment tandis que l’opposition pro-russe tire la sonnette d’alarme ; « cet accord mécontentera nos voisins », disent-ils en substance. David Khajakian, adjoint d’Edmond Maroukian (un temps allié au gouvernement), se dit inquiet du sentiment désapprobateur des pays de la sous-région. L’opposition met en exergue l’annonce par le Secrétaire d’Etat de l’envoi prochain d’une équipe de patrouilleurs frontaliers américains pour soutenir la professionnalisation des douanes arméniennes, ce qui pourrait heurter la susceptibilité iranienne. La plus regrettable réaction est celle de Vardan Oskanian. Ce dernier estime que les Etats-Unis ont voulu critiquer le gouvernement arménien dans sa politique non conforme aux principes de la démocratie. On peut légitimement s’interroger comment un ancien ministre des Affaires étrangères peut tenir de tels propos insensés. La signature même d’une charte de partenariat contenant un point sur la démocratie dénote que l’Arménie n’a pas un régime anti-démocratique, même si la démocratie en Arménie devra se développer et s’enraciner dans les pratiques institutionnelles.
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Le partenariat stratégique doit être placé dans la continuité de la rencontre tripartite du 5 avril 2024 à Bruxelles entre Antony Blinken, Ursula von der Layen et Nikol Pachinian, qui a scellé une orientation fondée sur les deux piliers américain et européen, visant à soutenir l’Arménie pour réaliser son indépendance face à la voracité de la Russie. Celle-ci, aidée sciemment ou par mégarde, il faut le reconnaitre, par la 5e colonne arménienne, tente, au moyen des pressions exercées par son proxy azéri, d’avaler l’Arménie, dans la perspective d’une reconstitution de l’empire poutinien.
Après le consentement hésitant de Nikol Pachinian à la proposition américano-européenne de soutien au renforcement de la souveraineté arménienne du 5 avril 2024, le rehaussement du niveau de la coopération entre l’Arménie et les Etats-Unis est emblématique de la politique de diversification des relations extérieures de l’Arménie. L’aboutissement de ce processus devra être le vote du parlement d’Erevan en faveur de la candidature à l’adhésion à l’Union européenne. On ne peut pas exclure que l’orientation pro-russe du pouvoir géorgien, contestée par une partie importante de la population en Géorgie, ait joué un rôle d’accélérateur dans la prise de décision des autorités américaines.
En tout état de cause, il faut mettre la signature de l’accord USA-Arménie au crédit de la diplomatie arménienne, dont l’un des effets notoires consistera à montrer à l’Occident que l’Arménie n’est pas au service des ambitions russes, alors qu’Ilham Aliev avait réussi plus ou moins à le convaincre que l’Azerbaïdjan coopérait avec les pays occidentaux contrairement à l’Arménie restée dans l’escarcelle moscovite. ■
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