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Géorgie, l’Église intervient dans la campagne électorale 

Sainte Trinité

Dans les pages du site « 1 in.am », le journaliste Vahram Atanessian évoque les élections législatives qui vont se tenir en Géorgie samedi prochain et les choix sociétaux et politiques qui vont en résulter. La question est sans ambiguïté. Elle est celle du choix entre le modèle démocratique « à l’occidentale », ou celui de la Russie poutinienne.  

Dans cette campagne électorale, L’Église orthodoxe géorgienne, du moins son patriarche et une partie de l’épiscopat et du clergé, s’est prononcé à « mots-couverts » pour le gouvernement actuel pro-russe du parti « Rêve géorgien ».  

Il n’y a là en réalité aucune surprise. Les positions ultra-conservatrices, pour ne pas dire « réactionnaires », du Catholicos Elie II [1] sur les questions de société, son refus de toute relation avec les autres Églises [2] éclairent tout observateur sur les orientations politiques de cette institution. 

Pour les Arméniens, cette « rigueur » du discours officiel de l’Église de Géorgie se concrétise par une opposition à sa reconnaissance en tant qu’Église par l’État et par la « géorgianisation » de plusieurs dizaines de sanctuaires arméniens à travers le pays[3]. 

Cimetière de Khodjivank en 1935

Cimetière de Khodjivank

Entre 1995 et 2004, une grande partie du cimetière de Khodjivank du quartier historique arménien de Havlabar où reposent de très nombreux intellectuels comme Hovhannès Toumanian, a été rasée afin de construire sur son emplacement une nouvelle cathédrale géorgienne dédiée à la Sainte Trinité [4].  

Sainte Trinité

Alors que la communauté arménienne du pays comptait près d’un demi-million de membres à la veille de l’indépendance du pays, les Arméniens seraient aujourd’hui entre 200 et 250 000. 

En Arménie même, l’Église orthodoxe géorgienne demande qu’on lui reconnaisse le  statut officiel qui est refusé en Géorgie à l’Église arménienne. Elle exige également la propriété de cinq monastères situés dans des zones proches de la frontière arméno-géorgienne. Selon elle, ils auraient été fondés en tant que sanctuaires géorgiens. Quatre des églises revendiquées se trouvent dans la région du Lori (districts de Sdepanavan et de Vanadzor). Il s’agit des monastères d’Akhtala, de Kobaïr, de Hnévanq et de Khuchap. Le cinquième, celui  de Kirants, se trouve dans la région du Tavush. 

Le résultat de ces élections sera important pour tous les Géorgiens, dont ceux d’origine arménienne, mais également pour l’Arménie qui est aujourd’hui confrontée à ce même choix cornélien et décisif pour son avenir. Pour ces deux peuples voisins si proches, mais aussi si souvent antagonistes, la question est quasiment shakespeariennes : « être, ou ne plus être ? » 

Traduction et présentation :  Sahak SUKIASYAN  

 

À l’occasion des élections, l’Église orthodoxe géorgienne soutient le gouvernement actuel

 Trois jours avant les élections législatives, l’Église orthodoxe géorgienne a déclaré dans un communiqué: « Notre pays vit un moment important. La préservation de l’unité, de la souveraineté, de la paix et des valeurs nationales et religieuses du pays est une priorité pour l’État et la société ».Dans cette déclaration, il est également souligné qu’en tant que grande structure tutélaire et unificatrice du peuple et du pays, l’Église orthodoxe géorgienne ne peut pas adopter de position politique, même si elle soutiendra assurément l’option qui apportera une paix à long terme en Géorgie et qui contribuera au « renforcement des traditions chrétiennes et familiales ». Cette dernière formulation est en fait une expression claire de la position politique de l’Église orthodoxe géorgienne car l’un des principaux thèmes de la campagne électorale de « Rêve géorgien », le parti au pouvoir, est justement de protéger les traditions religieuses et familiales nationales de « l’universalisation occidentale ».

Le compte-rendu de l’agence « Apsny.ge » donne le sentiment que l’Église orthodoxe géorgienne a adopté cette déclaration après que le gouvernement lui ait concédé de nouveaux terrains. En conséquence, les 17 et 18 octobre, le Premier ministre Irakli Kobakhidze a signé un arrêté selon lequel 3 610 et 160 m2 de terrain dans le village de Shuasurebi de la région de Chokhatauri étaient transférés au Patriarcat de l’Église orthodoxe de Géorgie au prix symbolique d’un Lari et de 1 619 m2 d’importance non agricole dans la rue Jordania de la ville de Lanchkhuti. Ce terrain a été mis gratuitement à la disposition de l’Église pour une durée de 99 ans.

Visiblement, ces faits ont également fait l’objet d’un débat au sein de l’Église. La déclaration de l’Église orthodoxe géorgienne, de fait du Patriarche-catholicos Elie II, exhorte le clergé à « s’abstenir de toute forme d’émotion dans le discours public et à prendre conscience du fait qu’il joue un grand rôle dans le maintien de l’unité de la société ».

Un peu plus tôt, des informations selon lesquelles le haut-clergé de l’Église orthodoxe géorgienne « n’était pas uni » avaient circulé. Dans cette ère post-soviétique, la majorité des membres du clergé sont partisans du renforcement des liens avec le Patriarcat œcuménique de Constantinople, tandis que le Patriarche et plusieurs primats des diocèses appartenant à « l’ancienne génération » demeurent fidèles aux liens traditionnels avec le Patriarcat de Moscou et de toute les Russies.

La déclaration actuelle de l’Église orthodoxe géorgienne fait également allusion à des dissensions au sein de l’Église. La question est de savoir quelle influence l’Église et le Patriarche-catholicos ont en réalité, et dans quelle mesure leurs « mises en garde » sont recevables pour l’électeur moyen. Si les informations sur l’attribution des terres sont avérées, et il n’y a aucune raison d’en douter car « Apsny.ge » cite les sources électroniques officielles du bureau du Premier ministre Kobakhidze, comment l’opinion publique géorgienne réagira-t- elle à « l’entente » du Patriarche Catholicos avec le autorités?

La présidente Salomé Zurabishvili a déclaré que ce régime à parti unique devrait prendre fin avec les élections législatives, qu’une coalition devrait être formée et que le pluralisme devrait être instauré. S’agit-il seulement de pluralisme politique ou bien, plus largement, d’une émancipation de la société vis-à-vis du système des valeurs civilisationnelles traditionnelles ?

La Géorgie est en réalité à la veille d’un choix décisif qui pourrait bien donner lieu à une phase de « surtension » dans la géopolitique du Sud-Caucase.

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[1] Le dernier responsable religieux encore en place nommé durant la période soviétique, avec le chef spirituel des Azerbaïdjanais Allahchukur Pachazadé.

[2] En mai 1997, l’Église orthodoxe de Géorgie a quitté le Conseil œcuménique des Églises au prétexte que « l’œcuménisme était une cause de division dans son sein ». On se souvient également de la « fraicheur » de  l’accueil  réservé au pape François par l’Église de Géorgie lors de la visite à Tbilissi en octobre 2016.

Garmir vank avant sa destruction

Garmir vank détruite

[3] Près d’une vingtaine dans la seule ville de Tbilissi. Plusieurs de ces sanctuaires, dont celui de « Garmir vank », ont été détruits après l’indépendance de la Géorgie. Malgré de multiples demandes présentées par Saint Etchmiadzine et l’État arménien, influencées par la puissante Église géorgienne, les autorités du pays refusent de restituer les autres églises  arméniennes encore existantes à Tbilissi.

Choeur de l’église de Gramir vank en ruine

[4] Une grande partie de ce cimetière de Khodjivank appelé « Panthéon » avait déjà été détruite durant la période soviétique à l’initiative même de Lavrenti Béria qui aurait récupéré les plus beaux marbres pour les utiliser lors de la construction de sa demeure personnelle.

Éditorial